Courant entre les colonnes de l’immense salle des Gens d’Armes, un petit bras de Seine insuffle poésie et liberté au cœur de l’ancienne prison.
Invité par le Centre des monuments nationaux à concevoir une œuvre pour l’un de ses monuments, Stéphane Thidet a choisi de créer une installation dans la Conciergerie – première résidence des rois de France au Moyen Âge, devenue à la fin du XIVe siècle siège de la justice et prison -, lieu lourdement chargé d’histoire qui abrita le tribunal de la Terreur durant la Révolution et dans lequel des milliers de personnes furent emprisonnées avant d’être conduites à l’échafaud (Marie-Antoinette y fut enfermée pendant 76 jours avant son exécution).
Frappé par la présence de traces encore visibles, sur les piliers des salles basses, de la crue de 1910 qui avait envahi le bâtiment, l’artiste a voulu y faire revenir le fleuve de manière apaisée en créant un bras provisoire qui traverse l’édifice.
Puisée dans la Seine par un dispositif de pompage installé sous le pont au Change, l’eau franchit le quai de l’Horloge dans un coffrage de bois brut avant de s’introduire dans le bâtiment par les fenêtres des cuisines médiévales. Conduite dans un large chéneau de bois soutenu par des tasseaux, l’eau se déverse en cascade au-dessus d’une grande cuve aménagée dans la majestueuse salle des Gens d’Armes. De là elle reprend son cours, suspendue à un mètre du sol, serpentant entre les alignements de colonnes qui soutiennent la haute voûte gothique et formant de larges méandres qui rappellent le tracé naturel du fleuve. Elle rejoint ensuite la salle des Gardes pour s’échapper par la grande baie, retombant en cascade à l’extérieur, entre les tours César et Argent, dans le fossé nommé « saut-de-loup » qui borde le bâtiment.
L’association de l’eau et du bois est récurrente dans l’œuvre de Stéphane Thidet. Élément à haute valeur symbolique dans toutes les cultures, l’eau est liée à la purification et à la régénérescence. Son flux induit une dynamique. Le bois représente pour l’artiste la matérialisation des cycles de la vie et de la mort, la poussée de la sève correspondant à l’élan de la vie qui monte jusqu’à son apogée puis redescend lentement, comme la vie se retire, avant de se régénérer dans un nouveau cycle.
Au couvent des Bernardins en 2016, son installation « Solitaire » mettait en œuvre deux arbres suspendus au-dessus d’un miroir d’eau sur lequel ils semblaient tracer les lignes d’une mystérieuse chorégraphie (https://www.parisartnow.com/stephane-thidet-solitaire/).
La même année, pour la Nuit Blanche, il créait sur le parvis de l’Hôtel de Ville « Sommeil », qui évoquait une forêt plongée dans la léthargie d’un étang gelé attendant le réveil du printemps.
A la Conciergerie, l’eau qui coule dans le chenal de bois crée un courant libérateur qui infiltre les murs de l’ancienne prison et y ramène la vie. Entrée par effraction dans ce lieu marqué par le pouvoir et la violence, l’eau du fleuve ouvre une brèche qui rappelle la force des éléments naturels et le caractère indomptable qu’ils peuvent opposer aux tentatives de contrôle des humains. Cette irruption du sauvage dans l’environnement civilisé et maîtrisé de la ville est un autre trait caractéristique de l’œuvre de Stéphane Thidet. En 2009, il avait introduit une meute de loups dans le château des ducs de Bretagne, au cœur de Nantes (La Meute). Par cette intervention, il ramenait au centre de la ville ce qui en est habituellement exclus, ou rejeté à la périphérie – et lui est par conséquent étranger -, confrontant ainsi le spectateur à ses peurs ancestrales. L’artiste est familier de ces décalages. Dans Le Refuge (2007), une cabane de montagne, avec sa lampe allumée et sa porte largement ouverte, semble s’offrir comme une promesse d’hospitalité et de réconfort pour le randonneur fatigué, mais se révèle en réalité parfaitement inhabitable, une pluie torrentielle s’abattant de façon continue à l’intérieur de ce qui s’annonçait comme un abri.
Dans Détournement, Stéphane Thidet opère un glissement du cours du fleuve. Libérée du carcan de ses berges rectilignes, l’eau de la Seine se promène en boucles ondoyantes et imprévisibles, comme dans les jeux d’enfants où l’on s’amuse, avec quelques cailloux, à faire sortir de son lit le ruisseau ou la rivière. Né en Normandie, l’artiste a passé son enfance au bord de la Seine. C’est à l’univers de l’enfance que ramènent aussi les constructions de bois inspirées des montagnes russes de fêtes foraines qui soutiennent le lit suspendu du cours d’eau.
Mêlant symbolique et imaginaire, l’installation de Stéphane Thidet nous plonge une fois encore dans un pur moment de poésie.
Stéphane Thidet, « Détournement »
La Conciergerie
2, boulevard du Palais
75001 Paris
Tous les jours de 9h30 à 18h (fermeture des guichets à 17h30)
Jusqu’au 31 août 2018