Pour son retour au Grand Palais, la foire se déploie dans de nouveaux espaces et redéfinit ses différents secteurs.
Changement d’échelle pour cette 27e édition : grâce aux énormes travaux de restauration réalisés dans l’édifice au cours des cinq dernières années, Paris Photo bénéficie désormais de 21.000 m2 d’exposition au lieu des 16.000 m2 dont la foire disposait en 2019 (le Grand Palais éphémère, où s’est tenue la manifestation entre-temps, n’en offrait que 12.000). Ce gain de surface conséquent a incité les organisateurs à repenser la structure de la foire, en créant notamment un nouveau secteur – ‘Voices’ – confié à trois commissaires invités et situé dans la galerie sud-est, mais aussi en développant le secteur dédié aux galeries et artistes émergents (23 exposants – montrant exclusivement des solo shows – contre 16 l’an dernier) et celui des technologies digitales (15 exposants). On assiste aussi au retour du secteur Prismes, consacré aux œuvres monumentales ou aux installations immersives, réparti dorénavant dans les galeries du rez-de-chaussée et non plus au 1erétage.
Parmi les 240 exposants présents cette année, on compte 195 galeries et 45 maisons d’édition. Le secteur principal rassemble 146 galeries dans la nef du rez-de-chaussée, auxquelles s’ajoutent les 15 galeries du secteur Digital situé entre les deux rampes de l’escalier d’honneur. Le secteur Émergence occupe le côté ouest des balcons du premier étage, le secteur Edition lui faisant face côté est.
Initié en 2018 pour valoriser le travail des femmes photographes, le parcours « Elles x Paris Photo » est placé cette année sous le commissariat de Raphaëlle Stopin, directrice du Centre photographique Rouen Normandie. Celle-ci met en lumière le travail d’une cinquantaine d’artistes témoignant de la diversité des approches et des pratiques photographiques à travers plusieurs générations de femmes, depuis l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui. On notera par ailleurs que la présence des femmes parmi les artistes exposés a notablement progressé à Paris Photo, passant de 20% en 2018 à 38% en 2024, et qu’un tiers d’entre elles sont âgées de moins de quarante ans.
Pour célébrer le centenaire du surréalisme, les organisateurs ont invité le cinéaste et artiste Jim Jarmusch à réaliser un parcours d’œuvres sélectionnées à travers la foire.
Autre centenaire commémoré dans le monde de la photographie, celui de Robert Frank (1924-2019) dont la série The Americans, réalisée lors d’un périple à travers les États-Unis en 1955-1956, a marqué des générations de photographes et auquel plusieurs galeries rendent hommage.
S’il fallait trouver une seule raison de se rendre à Paris Photo cette année, l’installation monumentale présentée sur le stand de la galerie Julian Sander à l’entrée de la foire devrait suffire à convaincre même les moins passionnés. La magistrale et célébrissime série d’August Sander (1876-1964), Menschen des 20. Jahrhundert [Hommes du XXe siècle], y est en effet montrée pour la première fois en Europe dans son intégralité.
Conçue par son auteur dans les années 1920, cette somme documentaire rassemble 619 portraits photographiques de représentants de toutes les catégories sociales et professionnelles constitutives de la société allemande de son temps, réalisés entre 1892 et 1954. Laissé inachevé à la mort de l’artiste, le projet fut patiemment reconstitué au cours des décennies suivantes à l’aide de ses archives pour trouver sa forme finale en 2001.
Divisée en 7 chapitres et 46 portfolios, cette typologie, établie durant l’un des périodes les plus sombres de l’histoire de l’Allemagne, inclut les portraits de militaires nazis, ajoutés par Sander à la fin de la seconde guerre mondiale aux côtés de ceux de prisonniers de guerre réalisés par son fils Erich, emprisonné en 1934 en raison de ses idées politiques (et qui mourra en prison dix ans plus tard d’une appendicite mal soignée), et de portraits de juifs photographiés en 1938-1939 dans le studio du photographe pour des pièces d’identité au moment où ils cherchaient à fuir l’Allemagne, ou encore de tziganes qui seront massacrés aussi par le régime national-socialiste. Pacifiste et proche des artistes progressistes, August Sander avait vu son premier livre (publié en 1929) interdit en 1936 et ses plaques photographiques détruites parce qu’elles comportaient des portraits d’artistes producteurs d’art « dégénéré », selon le qualificatif utilisé par les autorités.
À travers les portraits de femmes artistes et d’intellectuelles qu’il photographie dans les années 1920, on peut saisir le gouffre qui sépare ces figures de l’avant-garde de leurs semblables issues de milieux plus traditionnels, et percevoir dans ces images contrastées l’émergence de la modernité. Sa femme lui a également servi de modèle, photographiée en 1911 avec les deux bébés qu’elle venait de mettre au monde, dont l’un venait de mourir.
Même si elles se veulent le reflet d’archétypes de la société, avec leurs signes distinctifs, leurs vêtements et leurs accessoires, les images de Sander sont aussi des portraits d’individus saisis dans toute leur humanité, ce qui les rend d’autant plus intéressants.
Il ne faut pas manquer cette occasion unique de voir un tel monument de la photographie, ici proposé à la vente dans son ensemble par l’arrière-petit-fils de l’artiste.
En contrepoint de cette entreprise colossale, on mentionnera, dans le même secteur Prismes, un autre projet beaucoup plus modeste, même s’il a mobilisé plusieurs années de la vie de son auteur : la série « Blue Skies » du Belge Anton Kusters, dont on peut voir un aperçu dans la galerie In-Dependance d’Anvers, regroupe des images de ciel bleu saisies au-dessus des 1.078 anciens camps de concentration nazis répertoriés à travers l’Europe, sur lesquelles le photographe a imprimé par estampage le nombre estimé de victimes, abordant avec ce travail la question du traumatisme et du souvenir – ce dernier étant promis comme l’image à l’effacement, tandis que le traumatisme reste gravé dans la matière.
Signalons encore, dans le secteur Voices, l’intéressante exposition conçue par la commissaire Sonia Voss sur la scène photographique lituanienne, avec des images provenant des collections de la BnF et du Centre Pompidou.
La foire propose également, autour de l’escalier d’honneur, plusieurs petites expositions émanant de collections institutionnelles ou privées. On s’attardera sur celle de la Fnac, axée sur le thème du regard.
Aperçu de la foire en images :
Paris Photo
Grand Palais
Avenue Winston-Churchill
75008 Paris
Du 7 au 10 novembre 2024
De 13h à 20h du jeudi au samedi, de 13h à 19h le dimanche.
4 Commentaires