Après avoir annoncé ses adieux définitifs à la scène artistique lors de sa grande rétrospective au musée Guggenheim de New York en 2011, l’insaisissable Cattelan est de retour avec une exposition qu’il qualifie de « post requiem » à voir à la Monnaie de Paris jusqu’au 8 janvier 2017
Pour sa première exposition européenne d’envergure, l’artiste italien a sélectionné une vingtaine d’œuvres parmi celles qu’il considère les plus emblématiques de sa production. La scénographie, conçue en collaboration avec la commissaire Chiara Parisi, s’articule autour de trois œuvres-phares : Sans titre (La Donna), 2007, La Nona Ora, 1999 et Him, 2001.
Une quarantaine de personnalités issues du monde de l’art, de la littérature, des médias et du clergé, ont été invitées à commenter une œuvre de l’exposition ; leurs réflexions sont consignées dans les cartels qui accompagnent chacune de celles-ci.
Né à Padoue en 1960, Maurizio Cattelan quitte assez tôt la maison familiale et commence à gagner sa vie en travaillant notamment comme éboueur et comme assistant dans une morgue. Très vite, il cherche à s’échapper de ce monde du travail et s’essaie au design avant d’aborder de manière marginale le monde de l’art. Tout au long de sa carrière artistique, il va tenir la position d’observateur critique, d’esprit frondeur, de fauteur de troubles, refusant d’être considéré comme partie prenante de la sphère artistique alors même qu’il en est un acteur majeur.
Passé maître dans l’ironie et la dérision, il enchaîne les provocations et les coups d’éclat, persuadant son galeriste Emmanuel Perrotin d’endosser pendant les cinq semaines de son exposition un déguisement de lapin rose en forme de pénis (« Errotin, le vrai lapin », 1995) ou moquant l’art contemporain en lacérant les toiles à la manière de Fontana pour y tracer le Z de Zorro. En signe de contestation contre le marché de l’art, il crée en 2002 à New York la « Wrong Gallery », espace de 2 m2 toujours fermé où rien n’est à vendre. Mécontent de la revente de l’œuvre « La Nona Ora » par son collectionneur en 2009, il scotche le galeriste Massimo de Carlo au mur de sa galerie afin qu’il se vende lui-même. En 2010, il dresse face à la Bourse de Milan une main monumentale en marbre de Carrare dont tous les doigts sont sectionnés à la base à l’exception du majeur.
Le paradoxe de Cattelan est qu’en dépit de sa désinvolture affichée et de son apparent détachement, l’artiste contrôle parfaitement une communication très habilement orchestrée et que le discours qu’il tient sur ses relations avec le marché de l’art n’est pas sans effet sur la cote de ses œuvres. On pourrait alors se demander si l’annonce de sa retraite anticipée il y a cinq ans et sa réapparition récente relèvent de raisons purement intellectuelles. Mais il serait hasardeux de tirer des conclusions trop hâtives car Cattelan échappe à toute velléité de classification et ressurgit toujours là où l’on ne l’attendait pas.
C’est précisément pour anticiper les jugements et prévenir toute tentative d’enfermement que l’artiste s’affuble délibérément des étiquettes qui s’affichent le long des murs extérieurs de la Monnaie de Paris. « Subversif », « libre », « tendre », « brutal », « caché », « fragile », « détesté », « mélancolique », « insoumis » sont quelques-uns des qualificatifs déclinés en lettres d’or sur fond noir sur les bannières jalonnant la façade du bâtiment. Pour compléter la mise en condition des visiteurs, le mannequin d’un jeune homme pendu était accroché sur le toit du bâtiment lors de l’ouverture de l’exposition mais l’œuvre a depuis été retirée.
Ce que Cattelan cherche avant tout, c’est à créer des images-chocs qui s’impriment durablement dans l’œil du spectateur.
Dans l’escalier monumental qui donne accès à l’exposition, le visiteur est accueilli par La Donna – version féminisée de la Crucifixion, inspirée d’une photographie de Francesca Woodman (photographe américaine suicidée à vingt-deux ans dont l’œuvre fulgurante a fait l’objet d’une rétrospective à la fondation Cartier-Bresson au printemps dernier). Au-dessus, Novecento – titre du film épique de Bertolucci mais aussi dénomination du XXe siècle en italien – est symbolisé par un cheval aux jambes démesurément étirées et à la tête baissée, suspendu dans l’air dans une attitude qui traduit la souffrance, la fragilité et l’impuissance, très loin de l’image martiale des statues équestres des siècles précédents.
Seul au milieu du grand salon dont le parquet a été recouvert d’une moquette écarlate, le pape Jean-Paul II gît sur le sol, terrassé par une météorite, dans ce qui pourrait ressembler à une immense flaque de sang. « La Nona Ora » – la neuvième heure – est celle de la mort du Christ sur la croix. Avec cette œuvre très controversée, c’est aussi l’image du père que Cattelan dit avoir voulu renverser.
Un battement de tambour venu d’en haut attire le regard vers la balustrade, où l’on voit un jeune garçon assis au bord du vide jouant en regardant la scène à la manière du héros de Günther Grass dans « Le Tambour » qui refuse de grandir en voyant le monde tomber en ruines autour de lui. Dans la majorité des œuvres de l’exposition, c’est un double de lui-même que Cattelan met en scène.
Dans une pièce en retrait, on aperçoit un sans-abri adossé contre le mur. On ne voit qu’un de ses pieds, le reste de son corps disparaissant sous une couverture. Il est peut-être en train de dormir mais pourrait tout aussi bien être mort.
Sur la corniche d’une antichambre, l’artiste s’est représenté en miniature assis au milieu des pigeons, observant le monde du haut de son perchoir.
Dans la salle suivante, une famille très particulière rassemble un couple de labradors et leur petit poussin. On peut y voir une illustration des unions interculturelles ou interraciales, ou encore une évocation de l’adoption. Dans l’esprit de Cattelan, il s’agirait plutôt d’une métaphore de la Sainte Famille.
Le revoici justement surgissant d’un trou creusé dans le plancher de la salle voisine, tel un cambrioleur entré par effraction dans un coffre-fort (le rôle de la Monnaie est la fabrication monétaire) ou comme un imposteur s’introduisant illégitimement dans le monde de l’art.
Dans la bibliothèque, un jeune adolescent assis sur un pupitre d’école tourne le dos aux visiteurs. En s’approchant, on réalise que ses deux mains sont clouées sur le bureau par des crayons. Une crucifixion scolaire qui rappelle le parcours malheureux de l’élève Cattelan. Le titre de l’œuvre « Charlie Don’t Surf » fait référence au héros du film Apocalypse Now lançant ces mots comme un cri de guerre lors de ses attaques aériennes.
Plus loin, un cheval saisi dans son élan s’est enfoncé la tête dans le mur et reste suspendu tel un trophée renversé et pitoyable.
De l’autre côté, une scène funèbre rassemble neuf gisants – souvenir du travail du jeune Cattelan dans une morgue ou évocation des migrants qui se noient chaque jour en Méditerranée… Les linceuls sculptés dans le marbre de Carrare renvoient aussi à des témoignages plus anciens de l’art funéraire.
Le thème de la mort est omniprésent dans le travail de l’artiste. On le retrouve d’ailleurs dans la salle suivante, où Cattelan s’est représenté à échelle réduite dans un double autoportrait. Allongés sur un lit aux draps blancs, l’homme et son jumeau sont vêtus d’un costume noir et semblent apprêtés pour une veillée mortuaire. Tous deux gardent cependant les yeux grand ouverts, fixant le vide devant eux.
En contrepoint de cette scène lugubre, l’artiste a suspendu sur le battant d’une porte juste en face un autre de ses avatars, accroché par le col à un porte-manteaux, l’air goguenard.
Arrivant dans la dernière salle, on approche par l’arrière la silhouette agenouillée d’un enfant aux cheveux noirs soigneusement peignés, vêtu d’un costume gris, recueilli dans une attitude de prière. La découverte de son visage crée un choc, même si l’œuvre est bien connue…
La mise en scène allégée de l’exposition, qui laisse de l’espace autour de chaque œuvre, contribue à renforcer l’impact des images et à en donner une vision renouvelée.
L’effet opère toujours, même si l’on peut regretter l’absence d’œuvres nouvelles et de vraies surprises. Malgré cela, on est frappé par la force de certaines créations. Et l’on ne peut que se réjouir de la résurrection de l’artiste.
Attendons de découvrir ce qu’il nous réserve dans sa seconde vie…
Photo de titre: Untitled, 2001 © Isabelle Henricot
« Not Afraid of Love »
Monnaie de Paris, 11, Quai de Conti, 75006 Paris
Tous les jours de 11h à 19h, le jeudi jusqu’à 22h
Jusqu’au 8 janvier 2017