Quatre semaines après être sorti du rocher dans lequel il s’était enfermé pendant sept jours, Abraham Poincheval s’est lancé dans un nouvelle aventure : confiné dans une cage de verre au Palais de Tokyo, il couve une douzaine d’œufs qui devraient, si tout se passe bien, donner naissance à des poussins juste après Pâques.
En le voyant enfermé dans cette boîte, on a d’abord l’impression d’être au parloir d’une prison : les épaisses parois de verre, destinées à maintenir la chaleur et l’humidité, ne permettent évidemment pas de contacts tactiles mais rendent aussi très difficile l’échange de paroles, le son de la voix ne passant que très faiblement au travers des vitres isolantes. Cette mise en « vitrine » fait aussi penser à la manière dont on expose parfois les animaux dans les musées de sciences naturelles ou les jardins zoologiques. Cela génère un certain malaise… Qui s’estompe, heureusement, une fois le contact établi.
Le jour de son installation, alors qu’une télévision allemande réalisait un reportage et que beaucoup de monde s’affairait autour de lui, il n’avait pas été possible de trouver un instant de calme pour échanger plus de quelques mots. Deux jours plus tard, l’ambiance est un peu plus tranquille et nous discutons un bon moment.
Assis sur sa chaise couveuse, l’artiste n’a pas changé de position mais semble avoir très chaud… Un thermomètre placé dans le coin de la boîte affiche 24,3°C tandis que l’hygromètre mesure 68% d’humidité. La cape matelassée (créée par la créatrice d’origine coréenne Seulgi Lee) spécialement conçue pour l’envelopper et maintenir son corps à la température nécessaire pour la maturation des œufs paraît très efficace, encore faudra-t-il pouvoir la supporter tout le temps nécessaire… La chaleur est pour le moment l’élément le plus difficile à assumer. « C’est très fatiguant ». Il transpire beaucoup. Pour tenir le coup, il s’autorise chaque soir une pause d’une petite heure pour prendre un repas, se laver, se dérouiller les jambes, avant de reprendre place sur sa chaise (des compartiments aménagés dans le fond de sa caisse contiennent ses réserves de nourriture et de matériel). De ses expériences précédentes, aucune n’a duré aussi longtemps que celle qu’il se prépare à effectuer maintenant. A la mesure de ces deux premiers jours, ce sera long… Mais Abraham Poincheval a de la ressource, il en a fait la démonstration lors de ses performances passées.
Quelle idée peut bien passer par la tête d’un homme pour l’amener à s’imposer délibérément ce genre d’épreuve ? L’artiste s’est spécialisé dans les performances effectuées dans un espace restreint et des conditions extrêmes. L’exposition qui lui est consacrée en ce moment au Palais de Tokyo en relate quelques épisodes (https://www.parisartnow.com/coup-doeil-sur-les-nouvelles-expos-du-palais-de-tokyo/). Qu’il s’installe dans un trou – juste assez grand pour le contenir – fermé par une pierre d’une tonne, qu’il se glisse à l’intérieur d’un ours naturalisé, se perche à vingt mètres du sol sur une plateforme de moins d’1,5 m2, remonte le Rhône à l’intérieur d’une bouteille géante ou s’emmure dans un rocher creusé à la forme de sa silhouette, Abraham Poincheval explore et repousse toujours plus loin les limites de ses capacités physiques et mentales. Adaptant son échelle temporelle à celle de l’environnement dans lequel il évolue, il se mue ici, le temps de la performance, en poule, après avoir vécu en pierre.
A propos des deux performances du Palais de Tokyo – Pierre et Œuf – ce n’est qu’après coup qu’il a réalisé le lien qui semble aujourd’hui s’imposer entre la forme ovoïde du rocher dans lequel il était abrité comme dans une grosse coquille, et l’idée de couver lui-même des œufs. La mythologie l’intéresse depuis longtemps mais il ne s’est pas documenté particulièrement sur la symbolique de l’œuf. « Le hasard fait souvent bien les choses ». En l’occurrence, il semblerait que cela relève plutôt de l’inconscient, mais laissons aux psychanalystes le soin de se pencher sur la question. Le thème est en tout cas en phase avec la saison, le printemps étant associé dans la plupart des cultures à la célébration du renouveau de la vie et de la fertilité, symbolisés aussi par l’œuf qui, dans de nombreux mythes, participe du récit des origines. Et à quelques jours de la fête de Pâques, les œufs sont évidemment de circonstance.
Un groupe de visiteurs arrive. Comment l’artiste supporte-t-il d’être ainsi exposé en permanence au regard du public, privé de toute intimité ou de possibilité de retrait (Une caméra, dont les images sont relayées sur le site du Palais de Tokyo, le filme 24 heures sur 24…) ? Il dit que cela ne lui pèse pas. Entraîné à la méditation, il réussit à se soustraire à l’environnement et à s’évader dans son monde, dit-il. Il reconnaît tout de même que l’expérience lui paraît plus difficile que celle de l’enfermement dans la pierre qui le protégeait comme une peau. Ici il se sent plus fragile.
A côté de lui, quelques provisions et un carnet, qui ne le quitte jamais, dans il lequel consigne chaque jour ses réflexions.
Conçoit-il ses performances comme un ensemble obéissant à une logique déterminée ? Il pense pour l’instant à explorer différents niveaux de l’espace. Après avoir fait l’expérience du monde souterrain, puis éprouvé le rapport à l’air sur une plateforme élevée au-dessus du sol, il rêve maintenant de se détacher complètement de la terre pour rejoindre le ciel en marchant sur les nuages [!]. Le principe est très simple, explique-t-il, même si la mise en œuvre en est plus compliquée. Grâce à un ballon, il pourra atteindre une certaine altitude, avant de se laisser descendre au moyen d’un treuil au niveau des nuages… Ce qui est formidable avec Abraham Poincheval, c’est qu’il élabore les idées les plus extravagantes en gardant un côté très rationnel.
Et après ? Il ne sait pas encore. Il prendra le temps d’y réfléchir en retrouvant sa vie d’enseignant à Marseille, où il enseigne… l’histoire de la performance.
Qu’est-ce qu’on disait ? L’œuf ou la poule…?
Abraham Poincheval
Palais de Tokyo
13, Avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tous les jours sauf le mardi, de midi à minuit