La 47e édition des Rencontres d’Arles propose jusqu’à la fin de l’été une quarantaine d’expositions réparties dans 19 lieux de la ville.
137 artistes, 38 commissaires et près de 40 expositions s’affichent au menu de l’édition 2016 des Rencontres de la photographie. Sous la direction de Sam Stourdzé, la programmation du festival se décline en différents thèmes autour du documentaire, de la photographie de rue, de la photographie africaine, des traces de la guerre, des collections, des voyages lointains…
Que retenir de cette offre foisonnante ? Voici quelques suggestions :
« Looking beyond the edge » de Don McCullin (1935), à l’église Sainte-Anne. En marge du reportage de guerre dans lequel ce grand photographe britannique s’est particulièrement illustré, l’exposition présente des aspects moins connus de son travail documentant notamment la vie de la classe ouvrière à Londres dans les années 60 ou celle des sans-abri dont il a réalisé des portraits poignants ; on y découvre aussi son attrait pour la campagne anglaise à travers les vues de paysages pleines de poésie qu’il réalise dans le Somerset où il vit.
A l’espace Van Gogh, Sid Grossman (1913-1955), figure importante mais longtemps ignorée de la photographie américaine moderne, sans doute en raison de sa mise à l’index par le FBI pour ses sympathies communistes, a photographié les quartiers populaires de New York, les rues d’Harlem, les plages de Coney Island. Séjournant dans le Missouri ou l’Arkansas au début des années 40, il y saisit la vie rude des familles d’agriculteurs. Devenu professeur à la New York Photo League School dont il fut un des cofondateurs, il eut une influence déterminante sur de nombreux jeunes photographes de l’époque, dont l’exposition présente également quelques travaux.
Au premier étage de l’espace Van Gogh, l’installation de l’Irlandais Eamonn Doyle (1969), « End. » conçue en collaboration avec Niall Sweeney (illustrations) et David Donohoe (son) met en scène des compositions de portraits de grand format en noir-et-blanc et en couleurs que le photographe a réalisés près de chez lui dans les rues de Dublin et qui sont accompagnés d’illustrations graphiques et sonores. Les silhouettes de vieillards et les visages des passants sont saisis en très gros plan. La scénographie habilement conçue offre, grâce aux trouées ménagées dans les panneaux photographiques disposés au centre de l’espace, des perspectives sur les photos géantes affichées à l’arrière-plan ou des cadrages sur la tête des visiteurs.
Adepte des inventaires anthropologiques, Charles Fréger (1975) entreprend des séries photographiques consacrées aux communautés traditionnelles. Après les « Wilder Mann » d’Europe centrale, il s’est intéressé aux figures masquées rituelles du Japon. Ses monstres et autres créatures fantastiques sont photographiés en décor naturel dans la campagne japonaise ou au bord de la mer. « Yokainoshima » (l’île aux spectres) est présenté à l’église des Trinitaires.
A la fondation Manuel Rivera-Ortiz, le travail du photographe suisse Dominic Nahr (1983) « Pays brisé » témoigne de la tragédie humaine qui se joue au Soudan du Sud miné par la guerre, la violence, la famine et les épidémies.
Dans un esprit plus léger, les tirages du Français Bernard Plossu (1945) « Western Colors » vous emmènent dans l’ouest américain des routes infinies, des motels improbables, des stations-service d’un autre âge ou des paysages de sable et de vent.
Pour les inconditionnels du genre, « Western camarguais » à l’église des Frères-Prêcheurs retrace l’histoire des films éponymes tournés en Camargue depuis le tout début du XXe siècle, occasion d’évoquer l’heure de gloire de l’industrie cinématographique locale portée par les films « D’où viens-tu Johnny ? » ou « Crin-Blanc » dans les années 1960.
La chapelle du Méjean, à côté de la librairie Actes Sud, accueille au RC l’exposition « Pas de deux », une confrontation entre les photographies du Japonais Eikoh Hosoe (1933) et celles de l’américain William Klein (1928) réalisées avec le danseur et chorégraphe japonais Kazuo Ōno (1906-1910), cofondateur du butō (mouvement de danse né au Japon dans les années 1960). L’énergie dégagée par les images de Klein contraste avec le caractère très intimiste du travail d’Hosoe.
A l’étage, Hans Silvester (1938) qui, depuis les années 1980, parcourt la planète en quête de peuples ou de territoires menacés, offre un beau témoignage sur la vie quotidienne d’une ethnie du sud éthiopien, « Les Bench ».
Photojournaliste réputé, Yan Morvan (1954) a depuis très longtemps fait de la guerre le sujet principal de ses prises de vue. Mais depuis une dizaine d’années, il a renoncé à saisir les conflits dans la violence de l’action pour les aborder d’un point de vue historique et géographique, établissant une sorte de typologie du paysage de la guerre. Ses « Champs de Bataille » sont présentés au premier étage du Capitole.
Au RC du même bâtiment, « Nothing but blue skies » évoque les attentats du 11 septembre 2001 et le flot d’images qu’ils ont généré dans les médias du monde entier, montrant comment la répétition en boucle de l’information, cherchant à nourrir un besoin de spectacle permanent, contribue à l’effacement symbolique de l’image.
Au musée départemental Arles antique, « Opération Condor » est le fruit d’une longue enquête menée par le Portugais João Pina (1980) dans les pays des anciennes dictatures sud-américaines (Brésil, Argentine, Bolivie, Chili, Uruguay et Paraguay) où les opposants politiques étaient systématiquement arrêtés, torturés et assassinés. Dix ans durant, le photographe a suivi la trace des disparus, rencontré les familles traumatisées, visité les centres de torture, retrouvé dans un magasin de matériaux de construction où il sert d’enseigne publicitaire l’avion qui fut utilisé pour précipiter des militants vivants dans le Rio de la Plata ou dans l’océan… Ses photographies en noir et blanc affichées dans la pénombre sont un hommage silencieux aux centaines de victimes de cette opération.
Au premier étage, « Lady Liberty » raconte l’histoire de la statue emblématique de l’Amérique, œuvre d’Auguste Bartholdi, formé à la photographie avant de devenir peintre et sculpteur.
L’église Saint-Blaise, non loin des Ateliers, abrite le montage de films et de photographies du photojournaliste britannique Seamus Murphy (1959) complété de poèmes de la chanteuse, auteure-compositrice PJ Harvey (1969). Tourné au Kosovo, en Afghanistan et à Washington DC, « The Hollow of the Hand » évoque la guerre, l’exil, la vie qui continue et aussi ces ailleurs proches de nous que l’on côtoie parfois sans les voir. La voix de PJ Harvey donne un écho supplémentaire à ces très belles images.
Juste derrière l’église, c’est une ambiance musicale qui anime le couvent Saint-Césaire. « Swinging Bamako » conte les aventures de Las Maravillas de Mali, groupe mythique formé à Cuba au milieu des années 1960, qui fit danser la jeunesse malienne des années postcoloniales sous l’objectif d’Abderrahmane Sakaly (1926-1988), de Malick Sidibé (1936-2016) et Sadio Diakité (1929), avant d’être réduit au silence par le régime dictatorial mis en place lors du coup d’état de 1968.
Bon nombre d’expositions se concentrent toujours au parc des Ateliers, ex-friche industrielle de la SNCF devenue propriété de la fondation Luma. Sous l’égide de sa fondatrice Maja Hoffmann, cohéritière de l’empire pharmaceutique Roche restée attachée à la Camargue où elle a grandi, la fondation continue de mettre à la disposition des Rencontres les anciens bâtiments industriels aujourd’hui rénovés, tandis qu’elle poursuit la construction du futur grand complexe culturel qui devrait être inauguré sur le site en 2018. On peut déjà voir se dresser à l’entrée du parc le chantier de son bâtiment-phare, conçu l’architecte Frank Gehry.
L’atelier des Forges accueille cette année « Mauvais genre », une collection de clichés amateurs sur le thème du travestissement, rassemblés par le cinéaste Sébastien Lifshitz. Ces photos anonymes prises entre 1880 et 1980, montrant des femmes et des hommes jouant avec le genre et le modèle social qui s’y rapporte en s’appropriant les vêtements du sexe opposé, soulèvent la question de l’identité et de la norme imposée par la société.
Pour « Systematically Open ? », l’exposition proposée par la fondation Luma à l’Atelier de Mécanique Générale, on retiendra les autoportraits en noir-et-blanc de la série « Somnyama Ngonyama » (« Salut à toi, lionne noire ») de Zanele Muholi (1972), dans lesquels l’artiste sud-africaine commémore et interroge la façon dont le corps noir a été représenté en photographie.
Dans la Grande Halle, « Radical Relation » réunit des œuvres de Garry Winogrand (1928-1984) et d’Ethan Levitas (1971), deux acteurs majeurs de la photographie de rue. Dans la série Photographs in 3 Acts, Levitas a accroché sa chambre photographique au bout d’une perche à hauteur de caméra de surveillance, ce qui donne des clichés en contre-plongée assez surprenants. Dans une autre série, In Advance of a Broken Arm, il a photographié sans autorisation des policiers en fonction, provoquant des réactions de colère dont il détaille les conséquences dans les légendes affichées en regard des tirages sur le mur opposé.
A côté, l’installation de Christian Marclay (1955) offre un intermède ludique avec ses vidéos sonores montrant les déchets de rue filmés comme de subtiles traces des passants qui les ont abandonnés là.
Au fond du bâtiment, « Hara Kiri Photo » revisite les couvertures du journal « bête et méchant » entre 1960 et 1985. Le résultat est assez décapant, souvent très vulgaire mais parfois vraiment drôle.
Au Magasin électrique, la jeune Laia Abril (1986) présente le premier volet de son travail documentaire « Histoire de la Misogynie, Chapitre un : de l’Avortement », dans lequel elle évoque notamment les risques physiques et légaux encourus par les femmes dans les pays où l’interruption de grossesse est pratiquée de manière clandestine. Elle dénonce aussi les dangers auxquels sont confrontés les médecins qui réalisent parfois des avortements au péril de leur vie.
Parti sur les traces d’expéditions passées dans la région du fleuve Amazone, Yann Gross (1981) révèle dans la séduisante scénographie de son « Jungle Show » diverses facettes de l’Amazonie contemporaine très éloignées des clichés romantiques de nos projections mentales occidentales.
Avant de quitter le Parc des Ateliers, il est recommandé d’aller s’asseoir au premier étage du pavillon de la Formation, près de l’entrée, devant l’installation de l’artiste sud-africain William Kentridge (1955), « More Sweetly Play the Dance », qui mêle allègrement film, animation, dessin, musique et théâtre dans une joyeuse ambiance de fanfare.
Et pour terminer, on peut encore visiter un des nouveaux lieux ouverts cette année aux Rencontres : Ground Control, ancien entrepôt de la Sernam situé juste à côté de la gare, reconverti (mais pas encore climatisé…) en espace d’exposition.
« Tear my bra » explore la production pléthorique de l’industrie cinématographique nigériane (Nollywood) et épingle avec humour sous l’objectif d’Antoine Tempé (1960) quelques ‘remakes’ à la sauce africaine des grands succès du cinéma américain.
De l’autre côté, « Phenomena, Réalités extraterrestres » des Danois Sara Galbiati (1981), Peter Helles Eriksen (1984) et Tobias Selnaes Markussen (1982) s’interroge sur le phénomène des ovni et l’éternelle quête de sens de l’être humain. Tout un programme !
Le plan détaillé des lieux d’expositions est téléchargeable sur le site des Rencontres : http://www.rencontres-arles.com/Doc/ARL/Media/TRMisc/e/d/3/c/AR1MSC4128.pdf
Les expositions sont à voir jusqu’au 25 septembre.
Photo de titre: Parc des Ateliers, La Grande Halle © Isabelle Henricot