Avec une édition resserrée autour d’une partie du programme de l’an dernier – revisitée et enrichie de quelques nouveautés – et un budget ajusté , les 52èmes Rencontres d’Arles ont redémarré cet été dans un format plus modeste.
Après la flamboyante édition du 50e anniversaire des Rencontres en 2019 et sa fréquentation record de 145.000 visiteurs, le festival a dû faire face en 2020 – covid-19 oblige – à l’annulation forcée de sa programmation et aux pertes financières qui en ont résulté, celles-ci faisant vaciller fortement le fragile équilibre budgétaire de la manifestation. Privés des revenus générés par la billetterie (plus de 70 % du budget), mais déterminés malgré tout à protéger les artistes dans cette période difficile, les organisateurs ont choisi de maintenir la rémunération de ceux qui auraient dû être exposés, tout en ayant à couvrir les frais fixes de l’organisation. De surcroît, le contexte incertain qui a entouré la préparation des Rencontres 2021 les a contraint à abandonner provisoirement une partie des lieux d’expositions traditionnellement dédiés au festival (qui ne dispose pas d’espaces consacrés), car ceux-ci ne pouvaient être adaptés aux contraintes sanitaires.
Pour Christoph Wiesner, le nouveau directeur qui a succédé en septembre 2020 à Sam Stourdzé parti diriger la Villa Médicis à Rome, c’est « une année de transition ». Ce franco-allemand, ancien directeur artistique de Paris-Photo ayant commencé sa carrière au sein du marché de l’art contemporain, a composé le programme de cet été dans la continuité, en adaptant une dizaine des expositions ajournées l’an dernier et en renforçant la tendance déjà amorcée vers l’ouverture aux sujets politiques et sociaux, ainsi qu’aux questions très actuelles sur l’identité. Pour tenir le budget, le nombre d’expositions a été revu à la baisse, passant de 49 (en 2019) à 35, dont une vingtaine au programme officiel et une quinzaine dans les programmes associés. Ces dimensions plus restreintes pourraient bien, du reste, devenir la nouvelle norme du festival. Christoph Wiesner entend en effet maintenir ce modèle pour les prochaines éditions, quitte à étendre la durée des expositions afin de leur donner une plus grande visibilité. Cette année, elles ont déjà été prolongées d’une semaine (jusqu’au 26 septembre), mais l’idée d’accroître la présence des Rencontres au-delà de la période estivale fait son chemin. Il faut dire que le paysage culturel de l’ancienne cité gallo-romaine a connu d’importants bouleversements ces dernières années, avec la présence de plus en plus marquée de la Fondation Luma, dont la tour érigée par Frank Gehry et inaugurée en juin dernier impose désormais sa silhouette d’acier et de béton très haut dans le ciel arlésien, mais aussi avec l’arrivée d’autres fondations privées (comme la Fondation Van Gogh, ouverte au public depuis 2014, ou encore la Fondation Lee Ufan, qui ouvrira cet automne) susceptibles d’attirer de nouveaux publics tout au long de l’année. Ces nouvelles données, ajoutées au fait que Christoph Wiesner ait, par ses activités professionnelles passées, noué des liens avec de nombreux acteurs de l’art contemporain (parmi lesquels certains des artistes aujourd’hui étroitement associés à la Fondation Luma, comme Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster, qui étaient représentés par la galerie dans laquelle il travaillait à Berlin), et qu’il soit en outre le compagnon d’Emma Lavigne, l’actuelle directrice du palais de Tokyo à Paris, devraient contribuer à développer des collaborations entre ces différentes institutions et générer une nouvelle dynamique au sein des Rencontres.
Dans l’immédiat, l’édition 2021, même réduite, n’en est pas moins de qualité.
Parmi les expositions proposées, « Masculinités. La libération par la photographie » fait partie des incontournables. Installée dans l’atelier de Mécanique mis à la disposition des Rencontres par la Fondation Luma dans le parc des Ateliers, elle rassemble, sous la houlette de la commissaire Alona Pardo, curatrice du Barbican Centre de Londres, les travaux d’une cinquantaine d’artistes illustrant la manière dont s’est construite l’image des hommes dans la photographie et le cinéma depuis les années 1960 jusqu’à nos jours. Il y est question de virilité bien sûr, mais aussi, a contrario, de toutes les formes souvent drôles et inattendues que peut prendre la résistance aux diktats de l’idéal masculin tel qu’il était traditionnellement défini [En tant que simple hétéro, on peut se sentir par moments un peu marginalisé(e), ce qui finalement est peut-être la preuve que l’exposition a atteint son objectif].
« Masculinité. La libération par la photographie », Mécanique générale, Parc des Ateliers, 33 avenue Victor Hugo.
En prélude à l’exposition, les images des « Princes de la rue » de Clarisse Hahn, prises dans le quartier de Barbès à Paris, livrent une autre vision sur la masculinité, celle des bandes de jeunes hommes qui occupent les abords du métro en se livrant à divers marchandages et petits trafics, et dont la photographe saisit les attitudes très codées et le regard toujours en alerte, révélant leurs jeux de pouvoir mais aussi leur fragilité.
Clarisse Hahn, « Princes de la rue », Mécanique générale, Parc des Ateliers.
« The New Black Vanguard », dans l’Église Sainte-Anne, s’intéresse au corps noir dans toute sa diversité, mis en scène par de jeunes photographes africains, afro-américains ou africains-européens. Ayant pour la plupart débuté dans la mode, secteur où ils était plus facile de se faire une place que dans celui de l’art, ils ont parfois créé leurs propres médias pour trouver une visibilité, avant de conquérir, très récemment, le devant de la scène et les couvertures des plus grands magazines. Entre photos d’art et de mode, les images accrochées sur fonds de couleurs vives séduisent par leur énergie, leur humour et leur beauté.
« The New Black Vanguard. Photographie entre art et mode », Église Sainte-Anne, 8 place de la République, Arles.
Au palais de l’Archevêché, en face, sont exposés une centaine de portraits réalisés au cours des vingt dernières années par le Sud-Africain Pieter Hugo, prix découverte à Arles en 2008. « Mon travail porte sur le fait d’être un étranger » explique-t-il, « j’ai l’impression d’habiter moi-même cet espace et d’adopter cette notion afin de m’engager avec les personnes que je photographie. Je commence presque toujours mon travail en me présentant : je regarde, et on me regarde en retour. Quand on crée un portrait, le cynisme disparaît pendant un bref instant. Il y a de la beauté à être tenu dans le regard de l’autre ». De cet ensemble d’images, traversé par différents thèmes tels que la race, le genre, la condition sociale, se dégage un fort sentiment d’intimité, l’impression en effet d’être le témoin privilégié de la rencontre entre le photographe et son sujet. Qu’il photographie des jeunes au physique atypique pour une campagne de mode, ou même qu’il saisisse de son téléphone portable les visages endormis des passagers d’un vol transatlantique – une série qui fait sourire mais avec laquelle il met aussi en garde contre l’intrusion de plus en plus grande des systèmes de surveillance et de leurs captures d’images incontrôlées – c’est aussi son propre portrait qu’il laisse entrevoir dans ce face-à-face instantané.
Pieter Hugo, « Être présent », Palais de l’Archevêché, 35 place de la République.
Un détour par le cloître Saint-Trophime, juste derrière, permet de découvrir le travail de l’Espagnole Almudena Romero, lauréate 2020 de la résidence BMW. Ses recherches sur la photosynthèse et sur les variations pigmentaires liées aux fluctuations de la lumière dans le domaine végétal l’ont amenée à transposer ces observations dans son travail photographique, en utilisant des plantes comme support direct de ses images. Concernée par les enjeux écologiques liés à la production, elle crée des œuvres éphémères, s’inscrivant dans un cycle naturel de vie et de mort. Pour permettre à ses montages de tenir jusqu’à la fin de l’exposition, elle les a coulés dans des plaques de résine organique translucide. On distingue les mains de l’artiste, photographiées lors du processus de production de l’image, imprimées à la chlorophylle sur des feuilles ou des fleurs, en écho aux mains de sa grand-mère qui a travaillé toute sa vie à la production du jardin dont sont issus la plupart des végétaux.
La jeune femme expérimente aussi d’autres techniques en reproduisant des photos de son album de famille sur des panneaux enduits de graines de cresson qu’elle expose dans le noir à la lumière d’un projecteur devant lequel est accroché le négatif. Lors de la Nuit au théâtre antique, elle présentait le portrait de son père qu’elle avait fait « pousser » les jours précédents dans l’obscurité d’un laboratoire improvisé dans l’Église Saint-Blaise. Avec elle, la photographie devient un art vivant.
Almudena Romero, « The Pigment Change », Cloître Saint-Trophime. Jusqu’au 29 août.
Doyenne de ces Rencontres, Sabine Weiss, qui a fêté ses 97 printemps en ce mois de juillet, est mise à l’honneur à la chapelle du Museon Arlaten. Pétillante de vie et d’humour derrière son regard malicieux, cette vénérable vieille dame émerveille par son énergie et sa présence. Dernière représentante de la photographie humaniste française incarnée par Robert Doisneau, Brassaï, Édouard Boubat ou Willy Ronis, Sabine Weiss est née en Suisse en 1924. Attirée très tôt par la photographie, elle fait son apprentissage dans un studio genevois avant de rejoindre Paris en 1946 où elle devient l’assistante de Willy Maywald, photographe attitré des grandes maisons de couture. En 1950, elle épouse le peintre américain Hugh Weiss (son mari passionnément aimé dont elle partagera la vie jusqu’à son décès en 2007), et devient alors photographe indépendante. C’est à cette époque qu’elle intègre, par l’intermédiaire de Robert Doisneau, l’agence Rapho et qu’elle commence à enchaîner les reportages pour Vogue et pour de grands magazines américains, profitant toujours lors de ses voyages des temps de pause ou des soirées pour prendre des photos personnelles. À Paris aussi, où elle fréquente avec son mari le milieu des artistes, elle raconte qu’ils aimaient se balader le soir le long des terrains vagues de la banlieue au milieu des jeux d’enfants et des clochards. Si, comme elle le dit, elle a « tout photographié » ( les réfrigérateurs, la mode, les bébés, le reportage, les personnalités, les morts, les voyages…), c’est dans la rue, lorsqu’elle prend des photos des gens les plus simples, qu’elle réalise les portraits qui la rendront célèbre. Elle ne s’est jamais considérée comme une artiste – réservant ce qualificatif à son mari peintre – mais comme une « artisane ». « J’ai été un témoin. Je n’ai rien créé » insiste-t-elle. La reconnaissance viendra pourtant, d’abord des États-Unis où elle participe dès 1953 à plusieurs expositions collectives – dont celle du Moma (1955) devenue mythique, « The Family of Man » – et où en 1954 elle enchaîne quatre expositions monographiques dans des institutions muséales, puis en Europe, où sa réputation prendra de l’ampleur à partir des années 1970 et 1980. Plusieurs fois honorée au cours des dernières années, elle a reçu en 2020 le prix Women in motion attribué par les Rencontres d’Arles et Kering.
« Sabine Weiss, une vie de photographe », Chapelle du Museon Arlaten, 29 rue de la République.
Autre figure historique mise en avant par le festival, Charlotte Perriand (1903-1999) fait l’objet d’une exposition consacrée non pas à son travail de design mais à son usage de la photographie comme instrument d’étude et source d’inspiration créative. Explorant pour la première fois l’énorme collection d’archives photographiques constituée de tirages d’époque, de négatifs, d’images d’agences de presse ou de photographies personnelles, de coupures de journaux etc., accumulée par l’architecte pendant toute sa vie, l’exposition se concentre particulièrement sur les grands photomontages qu’elle réalisa au cours des années 1930 pour le Salon des arts ménagers et pour le ministère de l’Agriculture. Très engagée à gauche, et proche à cette époque du parti communiste – avec lequel elle rompra en 1939, jugeant son idéologie dévoyée -, Charlotte Perriand entreprend dans ces années-là plusieurs voyages en URSS où elle est fortement marquée par l’esthétique soviétique. Révoltée par la grande pauvreté et les conditions de vie misérables dans lesquelles vit une partie importante de la population française suite à la crise de 1929, elle s’investit aux côtés de Le Corbusier pour proposer des équipements et du mobilier modernes accessibles au plus grand nombre. Au Salon des arts ménagers de 1936, à côté de la « salle de séjour à budget populaire » qu’elle a conçu pour le stand, elle installe une grande fresque photographique de 16 mètres de long intitulée « La grande misère de Paris », dans laquelle elle dénonce, avec force images et slogans, les conditions sanitaires déplorables des habitants de certains quartiers de Paris et de sa banlieue, et lance un réquisitoire contre les pouvoirs publics et les chefs d’industrie, proposant à la fin du montage une vision idéalisée de la vie des classes moyennes régénérée par l’accès au grand air et la pratique du sport. Sa proposition est plutôt mal reçue, en particulier par les organisateurs du Salon, choqués par le caractère révolutionnaire de son intervention. Mais quelques mois plus tard, après l’avènement du Front Populaire, le nouveau ministre de l’Agriculture lui confie la transformation de l’antichambre du ministère, dans lequel elle installe un autre grand photomontage, « L’office du blé », défendant la politique agricole du gouvernement. L’année suivante, poursuivant sa collaboration avec le ministère, elle réalise, avec la contribution de Fernand Léger, la décoration du pavillon de l’Agriculture à l’Exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne (1937), y déployant à nouveau une grande fresque photographique à la gloire des paysans, accompagnée de slogans incitant le monde des campagnes à intégrer la modernité. Très influencés par les nouvelles techniques graphiques et visuelles mises au point par la propagande soviétique, ces grandes installations photographiques apparaissent comme d’efficaces instruments de communication et d’éducation à visée des classes populaires. L’exposition offre un éclairage intéressant sur le caractère militant et politique qui sous-tend l’œuvre de Charlotte Perriand et l’a incitée à inventer de nouvelles formes de design.
« Charlotte Perriand. Comment voulons-nous vivre ? Politique du photomontage », Monoprix, place Lamartine.
Abritée sous le même toit, au 1er étage du Monoprix, l’exposition de SMITH plonge les visiteurs dans une ambiance beaucoup plus éthérée. Fasciné par le cosmos, le photographe, qui est aussi plasticien, metteur en scène et chercheur, et dont le travail se focalise sur la notion de métamorphose, s’est associé à un groupe de chercheurs et d’artistes pour penser cette exposition dont le titre « Désidération », évoquant à la fois le désir et la sidération (étym. : influence des astres sur la vie humaine) appréhendée ici dans son sens contraire, se veut l’expression du sentiment mélancolique généré par la perte des ciels étoilés et l’aspiration à les rejoindre. Insérées dans un récit de mythologie futuriste et accompagnées d’incantations méditatives, les belles images aux teintes pastel imprimées sur aluminium invitent à un voyage poétique oscillant entre odyssée intersidérale et expérience mystique, où les portraits aux couleurs fluo irradiant de lumière, réalisés à la caméra thermique, semblent surgir d’une autre dimension. En deux mots : étrange et planant.
SMITH, « Désidération (Anamanda Sîn). Du désastre au désir : vers une autre mythologie du spatial », Monoprix, place Lamartine.
La quête de l’espace à Arles, c’est aussi plus prosaïquement celle des lieux potentiels d’exposition. En cette année de ceinture budgétaire doublée de contraintes sanitaires, trouver des endroits susceptibles d’accueillir les visiteurs demandait plus encore que d’habitude créativité et imagination, ce dont les organisateurs des Rencontres n’ont jamais manqué. C’est ainsi que plusieurs expositions ont pris place dans les jardins publics, et que le Jardin d’été, stratégiquement placé entre le Théâtre antique et le boulevard des Lices, accueille sur ses pelouses les grands tirages de Stéphan Gladieu, fruits d’un travail de longue haleine consacré à la Corée du Nord. Comme tous ses prédécesseurs tentés de lever un coin du voile de mystère recouvrant ce pays verrouillé par la dictature, le photographe a dû faire preuve de beaucoup de patience et multiplier les voyages avant de pouvoir approcher les Nord-Coréens. Plus que le pays lui-même ou son régime politique, ce sont ceux qui y vivent qui attisaient sa curiosité et dont il cherchait à esquisser le profil. Considérant que le meilleur moyen de gagner la confiance des autorités serait de donner à son projet une apparence familière, il a donc lui-même adopté les codes de la photographie de propagande – photos posées, prises de vue frontales, cadrage rigoureux – se rendant ainsi plus prévisible et contrôlable à leurs yeux, ce qui lui a permis de trouver une certaine liberté d’expression à l’intérieur du cadre imposé. L’originalité de ces images réside dans le fait qu’il ne s’agit pas de photos collectives, contrairement à la norme du pays, mais de portraits individuels, un genre quasiment inconnu en Corée du Nord où l’individu n’existe que comme partie intégrante de la collectivité et où les seuls portraits accrochés dans les maisons sont ceux des leaders politiques. En jouant le jeu de la photographie traditionnelle, Gladieu montre que la théâtralité perceptible dans les photos officielles n’est pas réservée au seul domaine de la communication politique mais fait partie intégrante de la mentalité des gens. « Tout est propre. Les couleurs sont bien choisies, les gens habillés de la même manière. La pelouse coupée aux ciseaux. Le sable est moulé le soir quand on quitte le chantier. Cette perfection extrême, cette volonté d’être dans un apparence lisse et clinique, c’est l’Instagram appliqué à la vie réelle » explique le photographe. « Les gens sont tous plus ou moins beaux. […] On ne montre jamais quelque chose qui n’est pas fini. Une fois, j’ai voulu prendre une photo d’un sculpteur au travail. On a enlevé ce qu’il était en train de faire pendant que j’installais mon éclairage pour le remplacer par une statue finie. Du coup je n’ai pas pris la photo ». Ses modèles dégagent un mélange de contrôle et de fierté qui nous laisse dubitatifs. À l’inverse, ils n’ont pas compris non plus la démarche du photographe. « Nos différences se retrouvent dans ce face-à-face » conclut-il. « On se regarde à travers eux sans avoir les références pour comprendre. Il y a plein de choses que je n’ai pas comprises et eux aussi, c’est ce qui fait que le projet existe ».
Stéphan Gladieu, « République démocratique populaire de Corée, portraits », Jardin d’été, boulevard des Lices.
L’une des grandes orientations de ces Rencontres 2021 est la place prépondérante réservée à la photographie émergente. Réunis pour la première fois dans une exposition commune, les travaux des candidats au Prix Découverte Louis Rœderer 2021 sont exposés au cœur de la ville, dans l’église des Frères-Prêcheurs, et placés sous le commissariat de Sonia Voss.
Parmi les onze photographes sélectionnés, le jury a couronné la péruvienne Tarrah Krajnak pour son travail sur les nus d’Edward Weston, dans lequel elle revisite les photos légendaires du célèbre photographe à travers le prisme de sa propre identité – de femme et de latino-américaine – en interrogeant les canons de beauté traditionnels de la société blanche occidentale du milieu du siècle dernier vus par un homme, et en reprenant, déclencheur en main, le contrôle de l’image par l’exposition de son propre corps mis en scène à la manière du maître.
Tarrah Krajnak, « Rituels de maîtres II : les nus de Weston », Prix Découverte Louis Rœderer 2021, Église des Frères-Prêcheurs.
Le prix du public a été attribué à Ilanit Illouz, photographe israélienne dont la recherche explore les éléments naturels d’une vallée située près de la mer Morte, dans le désert de Judée – un territoire chargé d’histoire, soumis aujourd’hui à de vives tensions politiques et menacé par l’exploitation des ressources. Ce lieu est en outre lié à l’histoire de la photographie puisqu’on y trouve le bitume de Judée qui a servi aux premières reproductions photographiques. L’assèchement progressif de la mer Morte, fortement accéléré ces cinquante dernières années par l’industrie du sel, a transformé la région en une zone corrodée par le sel. L’artiste en a recueilli sur le sol et l’a utilisé pour fixer ses tirages, leur donnant du même coup un aspect scintillant et sculptural qui rappelle la structure du paysage et les menaces qui pèsent sur son écosystème.
Ilanit Illouz, « Wadi Qelt, dans la clarté des pierres », Prix Découverte Louis Rœderer 2021, Église des Frères-Prêcheurs.
Parmi les autres projets, on retiendra aussi les images de Farah Al Qasimi, fenêtres ouvertes sur l’intimité des intérieurs de la classe moyenne dans les Émirats arabes unis (Farah Al Qasimi, « Mirage de la vie ») et le périple de Massao Mascaro sur les traces d’Ulysse et des exilés d’aujourd’hui autour de la Méditerranée (Massao Mascaro, « Sub Sole »).
Prix Découverte Louis Rœderer 2021, Église des Frères-Prêcheurs.
L’exposition qui se tient dans l’Église des Trinitaires met, elle aussi, la jeune photographie à l’honneur. Le soulèvement populaire qui a abouti au renversement d’Omar el-Bachir au Soudan en 2019, après trente ans de dictature religieuse et militaire et des années de guerre civile, a fait pendant cinq mois descendre des milliers de Soudanais dans la rue. Bravant le risque de se faire arrêter et torturer par la police, de très jeunes photographes – parmi lesquels beaucoup de femmes – ont voulu documenter ces évènements, souvent au péril de leur vie. Huit d’entre eux sont exposés ici, aux côtés de la cinéaste franco-tunisienne Hind Meddeb qui a filmé les étapes de cette révolution.
« Thawra ! Révolution ! Soudan, histoire d’un soulèvement », Église des Trinitaires, 36 rue de la République.
On terminera avec un petit coup de cœur pour la jeune photographe sud-africaine Lebogang Tlhaco dont la série Sibadala Sibancane (« nous sommes vieux, nous sommes jeunes ») évoque sa relation avec sa mère à travers des collages dans lesquels elle mêle des images tirées de ses archives avec des paysages ou des portraits d’enfants de sa communauté.
Lebogang Thlaco, « Sibadala Sibancane », Jardin des Voyageurs, avenue Paulin Talabot.
Les Rencontres de la Photographie, Arles 2021.
Jusqu’au 26 septembre.
www.rencontres-arles.com