L’invariable succès que connaît le grand salon de la photographie depuis ses débuts en 1997 a progressivement suscité l’apparition d’événements parallèles qui font de cette semaine, voire de ce mois ou même de la saison, le moment de la photographie à Paris.
Pour commencer par le plus éphémère, il faut citer le petit salon « A ppr oc he » créé en 2017 par Emilia Genuardi et consacré à l’expérimentation photographique sous toutes ses formes. De petite taille – seuls une quinzaine d’artistes y sont présentés – il est en revanche de grande qualité. Installé depuis l’origine dans l’hôtel particulier « Le Molière » rue de Richelieu, il accueille cette année quinze expositions monographiques d’artistes majoritairement jeunes, dont j’ai retenu en particulier les œuvres de Marguerite Bornhauser(Galerie Porte B), 34 ans, qui a déjà un long palmarès d’expositions à son actif. Son travail, imprégné par la couleur, est axé sur les thématiques de l’environnement et du vestige. Dans la série We Are Melting, elle superpose des scans de négatifs abstraits imprimés sur du papier photo avec des plaques de verre qu’elle recouvre de peinture vitrail. À côté de ses œuvres personnelles, elle présente une série de sculptures créées en collaboration avec la plasticienne Léa Dumayet, composées de photographies imprimées en négatif sur des plaques de plexiglass, puis retravaillées ou peintes, que la sculptrice a recourbées et montées sur des tendeurs retenus par des poids, évoquant des voiles de bateaux.
Dans la même pièce, la Belge Laure Winants (Fisheye) expose le résultat de recherches menées dans l’Arctique en collaboration avec des scientifiques sur différentes formes de glace dont elle étudie les caractéristiques chromatiques et minérales à travers ses expérimentations photographiques.
Thomas Paquet (Galerie Bigaignon) fait vibrer la lumière sur le papier photosensible en une large déclinaison de nuances sans passer par l’intermédiaire de l’objectif. Il expose ici une partie des explorations menées durant sa résidence à PICTO LAB.
À mi-chemin entre sculpture et photographie, le travail du Brésilien Tomás Amorim (Galerie du Jour agnès b.) pousse l’image photographique hors de ses frontières bidimensionnelles. À l’aide de papier froissé, il crée sur des plaques de plâtre ou de béton moulées des reliefs accidentés rappelant des paysages de montagnes, qu’il enduit ensuite d’une émulsion photosensible avant de les exposer à la lumière. Le résultat fait penser à ces plans-reliefs que l’on étudiait au cours de géographie. Rien de surprenant lorsqu’on sait que l’artiste a suivi des études de géographie avant d’opter pour la photographie.
A ppr oc he, Le Molière, 40 rue de Richelieu, 75001 Paris, du 9 au 12 novembre 2023 (https://www.approche.paris)
Autre point fort de cette semaine photographique, le festival Photo Saint-Germain se déroule, comme son nom l’indique, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Sa 12e édition comprend 35 étapes s’étendant du 5e au 7e arrondissement. Les lieux d’exposition incluent des institutions culturelles, des galeries, des librairies, et permet de découvrir quelques lieux insolites comme le musée d’histoire de la médecine installé dans l’ancienne faculté de médecine de Paris, ou l’hôtel La Louisiane où séjournèrent nombre d’artistes et d’écrivains célèbres, ou encore le cadre magnifique de l’École des Beaux-Arts de Paris. Les dates des expositions varient, certaines se terminant dès ce dimanche, d’autres se prolongeant jusqu’au 18, voire jusqu’au 25 novembre.
Parmi toutes celles que j’ai pu voir, je recommande plus particulièrement la rétrospective consacrée à la grande photographe chilienne Paz Errázuriz à la Maison de l’Amérique latine, qui s’attache depuis près de cinquante ans à montrer les fractures sociales, économiques et politiques de son pays à travers des portraits souvent poignants de démunis ou de membres des communautés marginalisées. L’exposition présente 120 photos issues de 15 séries, dont plusieurs inédites (Paz Errázuriz, Histoire inachevée, Maison de l’Amérique latine, 217, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris, lundi-vendredi 10h-20h, samedi 14h-18h, jusqu’au 20 décembre 2023).
Dans les galeries, il ne faut pas manquer l’exposition que consacre cette année l’agence Roger-Viollet – dont les collections exceptionnelles couvrent toute l’histoire de la photographie – au russe Boris Lipnitzki installé à Paris en 1921 après avoir fui la révolution bolchévique, qui fut le chroniqueur du Paris des années 1930 et vit passer dans son studio tout le monde des arts et de la mode jusqu’à la fin des années 1960.
La galerie Olivier Waltman permet de découvrir un autre photographe émigré à Paris en 1971, le hongrois Gyula Zaránd, dont les œuvres sensibles jamais publiées jusqu’ici s’inscrivent dans la veine de la photographie humaniste de Cartier-Bresson dont il fut proche.
Après la belle exposition qui leur était consacrée l’an dernier à la maison Auguste Comte dans le cadre du festival, le duo Elsa & Johanna est de retour à la galerie La Forest Divonne avec une nouvelle série très réussie tournée cette fois en Allemagne pendant le confinement.
La galerie Berthet-Aittouarès met à l’honneur l’artiste plasticienne turque Nil Yalter, qui a fait de l’exil le thème central de son travail, et qui interroge depuis les années 1960 les notions d’identité et de minorité par le prisme du féminin. La Biennale de Venise vient de lui attribuer le Lion d’or 2024 pour l’ensemble de son œuvre.
À la librairie Delpire, on peut voir quelques tirages de l’extraordinaire Lee Miller côtoyant ceux de quatre jeunes photographes contemporaines.
Tous les détails sont sur le site : http://www.photosaintgermain.com
Pour clore cette semaine d’actualité photographique, les passionnés de livres de photo trouveront leur bonheur à bord du bateau Concorde-Atlantique, amarré au Port de Solférino, qui accueille comme chaque année 80 éditeurs et libraires pour le festival Polycopies (http://www.polycopies.net)
Durant tout le mois de novembre, Photo Days propose en outre plus de 70 événements dans Paris et ses environs, répartis dans une multitude de lieux (https://photodays.paris)
Et pour ne pas en rester là, on peut satisfaire durant toute la saison son envie de photographie avec de très belles expositions proposées dans différentes institutions de la capitale.
La BnF François-Mitterand accueille en ce moment deux expositions remarquables.
La première, Épreuves de la matière, réunit près de 200 photographes contemporains français et étrangers, révélant à travers leurs œuvres l’infinie diversité des réponses apportées à la question de la représentation de la matière en photographie.
(Épreuves de la matière. La photographie contemporaine et ses métamorphoses, Galerie 1, BnF François-Mitterand, entrée rue Emile-Durkheim, 75013 Paris, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 13h-19h, jusqu’au 4 février 2024).
La seconde, Noir & Blanc. Une esthétique de la photographie, parcourt la création photographique en noir et blanc depuis le XIXe siècle jusqu’aux œuvres les plus contemporaines, déployant toutes les nuances et les contrastes que permet l’usage restreint de ces non-couleurs et montrant leur puissance d’expression émotionnelle et symbolique. On peut se réjouir de voir enfin cette magnifique exposition, montée initialement au Grand Palais en 2020, qui n’avait jamais pu ouvrir en raison de l’épidémie de covid.
(Noir & Blanc. Une esthétique de la photographie, Galerie 2, BnF François-Mitterand, entrée rue Emile-Durkheim, 75013 Paris, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 13h-19h, jusqu’au 21 janvier 2024).
Le Jeu de Paume expose une pionnière de la photographie, la Britannique Julia Margaret Cameron. Née en Inde en 1815 d’une mère aristocrate française et d’un père fonctionnaire dans l’administration du Bengale, élevée entre la France et l’Inde, elle rejoint l’Angleterre en 1848 lorsque son mari prend sa retraite de l’administration coloniale britannique. Sur l’île de Wight où ils se sont installés, ils vivent entourés d’écrivains et d’artistes. En 1863, Cameron, alors âgée de 48 ans, reçoit pour Noël de sa fille et de son gendre un appareil photo. Durant les douze années qui suivront, elle produira plus de 1200 images, essentiellement des portraits de son entourage (famille, amis, domestiques et villageois), des allégories religieuses inspirées de l’art de la Renaissance ou des scènes littéraires. Maniant avec une grande liberté le procédé photographique encore très laborieux à cette époque, elle fait du flou une composante stylistique de son travail. Dotés d’une grande force expressive, ses portraits créent par leurs plans rapprochés une intimité inédite avec le spectateur. Son originalité lui vaudra de nombreuses critiques dont elle ne se souciera pas, choisissant de garder sa liberté créatrice.
(Julia Margaret Cameron. Capturer la beauté, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75001 Paris, mardi 11h-21h, mercredi-dimanche 11h-19h, jusqu’au 28 janvier 2024).
Plusieurs autres expositions – que je n’ai pas encore pu voir – méritent une visite.
Au centre Pompidou (malheureusement en grève les deux jours où j’y suis allée) se tient une exposition composée à partir des collections du musée national d’art moderne et de la collection de Marin Karmitz sur le thème de la représentation du corps dans la photographie des XXe et XXIe siècles.
(Corps à corps. Histoire(s) de la photographie, Centre Pompidou, place Georges Pompidou, 75004 Paris, tous les jours (sauf mardi fermé) 11h-21h, jeudi 11h-23h, jusqu’au 25 mars).
Le Bal réunit vingt-six artistes sur le thème du rapport à la mère. Tout un programme.
(À partir d’elles. Des artistes et leur mère, Le Bal, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris, mercredi 12h-20h, jeudi-dimanche 12h-19h, jusqu’au 25 février 2024).
Et enfin la MEP consacre à la photographe néerlandaise Viviane Sassen sa première rétrospective française.(Viviane Sassen. Phosphor : Art & Fashion 1990-2023, Maison Européenne de la Photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris, mercredi et vendredi 11h-20h, jeudi 11h-22h, samedi et dimanche 10h-20h, jusqu’au 11 février 2024).
Photo de titre : œuvres de Marguerite Bornhauser au salon « Appr oc he » © Isabelle Henricot