Inspiré de l’ancien parcours Hors-les-murs de la Fiac, le programme d’expositions publiques organisé en marge de la foire se déploie comme précédemment dans le jardin des Tuileries, sur la place Vendôme et dans la chapelle de l’École nationale des Beaux-Arts, trois lieux prestigieux auxquels s’ajoutent cette année le palais d’Iéna et l’esplanade de l’Institut de France, offrant à un large public l’opportunité de se familiariser à l’art contemporain dans un cadre majestueux.
« La cinquième saison » au Jardin des Tuileries :
Placée pour la seconde fois sous le commissariat d’Anabelle Ténèze, devenue cette année la directrice du Louvre-Lens, l’exposition collective organisée aux Tuileries en collaboration avec le musée du Louvre réunit vingt-cinq œuvres d’artistes contemporains sur le thème de la relation unissant les humains à la nature et au vivant dans le contexte de la crise écologique. [le titre de l’exposition fait référence au roman de science-fiction éponyme de N. K. Jemisin dans lequel les habitants d’une planète subissent les conséquences dramatiques d’une série de cataclysmes environnementaux dont ils ne survivent que de justesse. Dans le contexte anxiogène de ces derniers jours, cette filiation devient un peu lourde à porter]. Les œuvres exposées témoignent des préoccupations environnementales, mais aussi sociales et politiques des artistes. Certains l’expriment avec humour, comme Julien Berthier dont le rocher flottant part à la dérive sur le grand bassin octogonal, côté Concorde. D’autres avec poésie, comme Claudia Comte qui a dispersé sur le bassin circulaire voisin du Louvre des feuilles de chêne en marbre blanc illustrant le cycle des saisons, accompagnées de brèves notices exhortant au changement de nos habitudes, gravées sur des plaques de marbre posées sur l’eau, ou comme Jacqueline de Jong, éminente représentante du situationnisme, qui depuis une quinzaine d’années invente à partir des pommes de terre de son potager des sculptures et des bijoux, et a installé autour d’un autre bassin des portiques en bois soutenant ses guirlandes de tubercules en céramique.
Oscar Tuazon transforme le métal d’un baril de pétrole en marbre et son contenu en eau pour souligner l’importance de cette ressource naturelle en passe de devenir aussi rare et précieuse que l’or noir. Alicja Kwade, dont les œuvres associent presque toujours la pierre et le métal, a conçu un rocking-chair (ou rock in chair ?) sur lequel semble s’être écrasé un énorme rocher tombé du ciel. Fatalité ? Ou passivité face aux enjeux à relever ? Le dieu de la guerre de Vojtech Kovarik est fatigué, assis dans le sable, l’air pensif et mélancolique. On le serait à moins.
Les « Black Silhouettes» de Zanele Muholi, en revanche, manifestent avec force et détermination leur capacité de résistance. Dans son autoportrait en position assise, le corps ligoté et ceinturé, le cou serré par une laisse, l’artiste exprime l’enfermement dans lequel la cloue son identité de femme noire – un statut pénalisant à double titre – alors que Muholi se revendique aujourd’hui comme non binaire et queer dans un pays où les communautés LGBTQI sont fortement stigmatisées et exposées à la violence. Dans une autre sculpture, elle se représente en buste, émergeant du gazon, portant sur la tête un vase dans le droit fil de la tradition africaine. Mais celui-ci est décoré de motifs en relief représentant les organes sexuels féminins. L’image permet une double interprétation : on peut y voir une femme écrasée sous le poids du genre qu’elle incarne dans une société dominée par le modèle traditionnel et patriarcal, s’enfonçant inexorablement dans la terre, ou bien une femme qui revendique son identité, surgissant au contraire de la terre à la manière d’une fleur. La troisième sculpture semble laisser beaucoup de spectateurs perplexes, qui se demandent s’il s’agit d’un oiseau ( !). À ceux qui auraient du mal à l’identifier, il est conseillé de consulter un manuel d’anatomie féminine. Quelques pas plus loin, une belle endormie en bronze doré, qui semble s’être échappée de l’ancien palais des Tuileries, repose sur la pelouse, la tête posée sur deux traversins, les cheveux coiffés en rouleaux, le corps nu enveloppé dans une couverture. La statue fait écho aux sculptures classiques du jardin, dont elle se démarque par l’absence de socle et par son aspect « vivant ». La sculpture est un médium récent dans l’œuvre de Zanele Muholi qui s’est jusqu’ici fait connaître essentiellement par la photographie, avec sa célèbre série d’autoportraits en noir-et-blanc dans lesquels elle dénonce précisément les stéréotypes liés à l’imagerie traditionnelle de la femme africaine, et avec ses portraits de membres des communautés LGBT d’Afrique du Sud.
Quelques images supplémentaires :
Jardin des Tuileries
75001 Paris
Jusqu’au 10 novembre, de 7h30 à 19h30
Place Vendôme :
C’est une œuvre d’Urs Fischer qui occupe cette année le centre de la magnifique ordonnance créée en 1699 par l’architecte Jules Hardouin-Mansart. De l’artiste suisse vivant à New York, on connaît surtout les grandes sculptures en cire reproduisant l’Enlèvement des Sabines de Gianbologna, que l’on a pu voir se consumer lentement dans la rotonde de la bourse de Commerce – collection Pinault ou à la fondation Luma. La sculpture présentée ici fait partie d’une autre série – « Big Clays » – élaborée à partir de petits moulages en terre façonnés par l’artiste, puis agrandis numériquement. La « Vague » monumentale en aluminium de 5 m de haut résulte d’un de ces agrandissements, ce qui explique que l’on voit sur la surface les traces de doigts et d’intervention de l’artiste.
Urs Fischer, Wave (2018), galerie Gagosian
Place Vendôme
75001 Paris
Jusqu’au 1er décembre
Chapelle des Petits-Augustins de l’École des Beaux-Arts :
Le projet de l’artiste britannique Jessica Warboys associe une installation vidéo sur trois écrans et bande son, The TAIL GROWS AMONG RUINS (2023), avec un collage de peintures de grand format, SEA RIVER O (2023). Au milieu des moulages anciens de sculptures des XVe au XVIIe siècles et sous la copie du Jugement dernier de Michel-Ange, vestiges du Musée des Monuments français qui occupait la chapelle avant qu’elle soit dévolue à l’École des Beaux-Arts, l’artiste a installé au centre de la nef ses grandes toiles enduites de cire qu’elle immerge dans l’eau de mer ou de rivière avant d’y déposer des pigments colorés qui se mélangent sous l’effet des sels minéraux et du vent. Sous le dôme, les trois écrans déroulent les images d’un mystérieux voyage qui, à travers mers et forêts, passe par un couvent abandonné et une ancienne bibliothèque où les chauve-souris protègent les livres des insectes papivores.
École nationale supérieure des Beaux-Arts
14, rue Bonaparte
75006 Paris
Jusqu’au 22 octobre, de 10h à 19h
Parvis de l’Institut de France :
Face à la passerelle des Arts, sur la splendide place en hémicycle dominée par le Collège des Quatre-Nations, siège de l’Institut de France et de ses différentes académies, Sheila Hicks, créatrice d’œuvres textiles aux couleurs chatoyantes, a dressé sa composition « Vers des Horizons inconnus », une colonne recouverte de fibres colorées qui s’élance vers le ciel, contrastant avec les tonalités de pierre des colonnes du portique situé à l’arrière-plan. Derrière elle on aperçoit la fameuse coupole de l’ancienne chapelle, sous laquelle siège aujourd’hui l’Académie française.
Parvis de l’Institut de France
23, quai de Conti
75006 Paris
Jusqu’au 25 octobre
Palais d’Iéna :
Œuvre de l’architecte Auguste Perret, le palais d’Iéna, construit en 1937 pour abriter le musée national des Travaux publics, est aujourd’hui le siège du Conseil Économique, Social et Environnemental. Dans la grande salle hypostyle conçue par Perret comme salle d’exposition, l’historien de l’art Matthieu Poirier a orchestré la rencontre de deux grandes pointures de l’art contemporain, Daniel Buren et Michelangelo Pistoletto. Les deux artistes, qui se connaissent depuis la fin des années 1960, ont travaillé chacun de leur côté sur le projet sans savoir ce que l’autre préparait et n’ont découvert le résultat qu’à la fin. Dans la ligne de son travail focalisé sur la lumière et la couleur, Daniel Buren a habillé les seize grandes fenêtres de ses filtres de couleurs alternés de bandes transparentes, jouant avec les formes géométriques des triangles et des carrés pour reproduire le motif de claustra de la façade dessinée par Perret. Lorsqu’il y a du soleil, la lumière qui entre par les fenêtres de gauche de la salle projette les couleurs dans l’espace intérieur et sur les objets qui s’y trouvent, créant un espace coloré en trois dimensions, alors que les fenêtres de droite, qui ne reçoivent pas de soleil, demeurent une surface translucide et colorée en deux dimensions. Michelangelo Pistoletto travaille depuis ses débuts sur la notion de réflexion, qu’il décline dans ses œuvres en miroir. Pour l’exposition, il a conçu une série de miroirs en diptyques recouverts du signe de l’infini, dont il décline l’ouverture de façon progressive à la manière d’un kaléidoscope, jusqu’à placer les deux miroirs en parallèle, une œuvre métaphorique sur l’évolution de l’univers et l’infinité des possibilités de réflexion.
Daniel Buren, Allegro ma non troppo, travail in situ, 2023 / Michelangelo Pistoletto, Divisione – Moltiplicazione, 2023
Palais d’Iéna
9, avenue d’Iéna
75016 Paris
Jusqu’au 29 octobre, de 10h à 18h
Photo de titre : Zanele Muholi, The Politics of Black Silhouettes, 2023, Carole Kvasnevski © Isabelle Henricot
4 Commentaires