Se reflétant dans l’eau qui borde un petit village lacustre, des guirlandes lumineuses sont suspendues le long des façades de bois, seuls signes d’une fête qui semble terminée ou qui peut-être se poursuit dans le huis-clos des maisons aux fenêtres encore éclairées. Les barques amarrées sous les pontons, les échelles appuyées contre les murs et les toits laissent penser que tout à l’heure encore les habitants vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Mais pour l’instant il n’y a pas une âme dans cette nuit d’hiver et le spectateur est seul à contempler une scène dont les acteurs restent invisibles (The Settlement).
L’exposition qui se déploie pendant quelques jours encore de part et d’autre de la grande halle Aubervilliers au Centquatre plonge les visiteurs dans l’ambiance crépusculaire si caractéristique des créations de Hans Op de Beeck.
Né à Turnhout (Belgique) en 1969, l’artiste flamand vit aujourd’hui à Bruxelles. Maîtrisant une grande variété de techniques et explorant diverses disciplines, il est à la fois sculpteur, dessinateur, vidéaste, photographe, compositeur de musique et auteur de théâtre.
L’exposition présente deux vidéos et trois installations sculpturales dont l’une – Caravan – a été spécialement créée à l’occasion de l’exposition.
Dans les propositions que l’on peut voir ici comme dans la plupart de ses œuvres, la couleur est absente ou plutôt se limite à des nuances de gris. Ce parti-pris de l’artiste relève de sa volonté de saisir des images du quotidien dans leur instantanéité en les immobilisant dans le silence, à la manière des scènes figées dans la cendre à Pompéi. De son point de vue, le gris dont il recouvre ses sculptures et ses installations est une couleur calme et douce, à la fois mélancolique et pleine d’espoir.
La vidéo Staging Silence (2), filmée elle aussi en noir et blanc, présente une sorte de making-of de son processus de création : autour d’un plateau en miniature, deux intervenants dont on ne voit que les mains ajoutent ou enlèvent des éléments du décor, faisant évoluer les images comme dans un film d’animation. A l’aide de matériaux très simples – sucre en poudre pour figurer la neige, sucre en morceaux pour construire des gratte-ciels, bouteilles en plastique donnant l’illusion d’un skyline futuriste, plaques de chocolat converties en pavés ou en palissades et pommes de terre tenant lieu de rochers – l’artiste construit et déconstruit des paysages en se jouant des apparences avec une certaine dérision. Cela fait penser au théâtre d’objets, si ce n’est qu’aucun personnage ne s’incarne dans les accessoires mis en œuvre. Les paysages élaborés ici sont vidés de toute présence humaine. Celle-ci n’apparaît qu’en creux, évoquée de manière allusive et fantomatique. Cela n’empêche pas la poésie ou le drame d’investir ces images, comme lorsque les tours en sucre s’effondrent sous l’effet d’un bombardement de liquide noir brûlant (du café ?).
The Lounge est une installation sculpturale à échelle réelle mettant en scène ce qui pourrait être un coin de salon meublé d’un canapé Chesterfield autour et dans lequel s’entassent, dans un incroyable capharnaüm, bouteilles, vaisselle usagée, restes de repas, canettes, cendrier débordant de mégots, boîte de pizza, journaux, vêtements, chandeliers, objets d’art et même un chien endormi, le tout recouvert de pigments gris à l’apparence de cendres.
Dans cette atmosphère de fin de partie, un crâne posé sur une pile de livres – ‘memento mori’ évoquant la fragilité de la vie et l’inéluctabilité de la mort – vient rappeler à la manière des vanités du XVIIe siècle la nécessité de se détacher des biens de ce monde comme l’on doit abandonner son enveloppe charnelle : « tu es poussière et tu retourneras en poussière ».
L’univers nocturne de l’artiste s’anime dans Night Time, un film d’animation conçu à partir d’une série d’aquarelles monumentales en noir et blanc qu’Hans Op de Beeck a peintes la nuit dans la solitude de son atelier. On y retrouve les thèmes de prédilection de l’artiste: paysages baignés d’eau ou couverts de neige, ciels plombés, nuits plongées dans l’obscurité ou trouées de lumières lointaines, parcs d’attraction déserts, métropoles déshumanisées, maisons pleines de mystère hantées de silhouettes énigmatiques… Se fondant les unes dans les autres, les images se succèdent comme des rêves, traversant l’inconscient des dormeurs que l’on aperçoit de façon intermittente et imprégnant peu à peu l’imaginaire du spectateur.
Sous la lueur blafarde d’un réverbère, une caravane est blottie contre la palissade en béton d’une zone urbaine indéfinie (Caravan). Le rideau tiré derrière le hublot ovale laisse passer un peu de lumière. Près de la porte brûle un feu de camp mais il fait trop froid pour se tenir dehors en cette nuit d’hiver et les sièges en bois n’ont pas servi depuis la dernière chute de neige. A quelques pas, le manège clos est déjà plongé dans la nuit. Demain les enfants reviendront… En attendant la lumière va bientôt s’éteindre dans la caravane.
Les œuvres d’Hans Op de Beeck ne se veulent pas le reflet du réel. Elles assemblent des éléments de différentes réalités pour composer une fiction dans laquelle chacun peut projeter son propre imaginaire et réactiver des souvenirs oubliés, échos d’un monde disparu ou rêvé.
Visions oniriques, paysages désertés, silhouettes spectrales…L’artiste transpose les éléments familiers du quotidien dans un univers féérique empli de poésie mélancolique.
Hans Op de Beeck, « Saisir le Silence », jusqu’au 30 décembre
Centquatre – Paris, 5 rue Curial, 75019 Paris.
Du mardi au dimanche de 14h à 19h. Fermé le lundi