Expositions

Edi Dubien fait dialoguer son univers poétique avec les collections du musée de la Chasse et de la Nature

Première exposition monographique consacrée au plasticien par un musée parisien, « S’éclairer sans fin » rassemble plus de deux cents dessins, des peintures, des sculptures, des installations – œuvres pour la plupart inédites et conçues pour l’évènement.

Installé dans le cadre remarquable des hôtels de Guénégaud et de Mongelas dans le Marais, le musée de la Chasse et de la Nature, fondé par François et Jacqueline Sommer en 1967, accueille depuis 2007 des expositions d’artistes contemporains venant apporter un nouvel éclairage sur les collections permanentes d’art ancien, moderne et contemporain qui en constituent le fonds. Comme le précise son nom, le musée n’est pas exclusivement dédié à la pratique cynégétique, mais il s’attache plus largement à étudier les rapports qu’entretiennent l’homme et l’animal dans un environnement naturel.

Dans ce contexte, Edi Dubien, artiste autodidacte né en 1963, offre à travers ses œuvres une représentation de la relation humain-animal inspirée de l’imaginaire de l’enfance, où les protagonistes évoluent dans une nature protectrice et réconfortante, semblable à celle qui a constitué pour lui, et constitue encore, un refuge contre la violence à laquelle il a été exposé dès son plus jeune âge.

Dans la salle du rez-de-chaussée réservée aux expositions temporaires, les murs recouverts d’un papier peint créé expressément par l’artiste accueillent plus de deux cents dessins mêlant crayon, encre et aquarelle, accrochés bord à bord comme dans un cabinet de curiosités.

Edi Dubien, Vue de l’exposition « S’éclairer sans fin », Musée de la Chasse et de la Nature © Isabelle Henricot

Edi Dubien, Vue de l’exposition « S’éclairer sans fin », Musée de la Chasse et de la Nature © Isabelle Henricot

Figurant majoritairement de jeunes garçons, accompagnés d’animaux, d’oiseaux, d’insectes ou de plantes, ils rappellent le rôle essentiel qu’ont joué la nature et le monde sauvage dans l’enfance d’Edi Dubien, liés au souvenir des séjours auprès de sa grand-mère dans le Massif-Central, seules occasions de se soustraire à la maltraitance et la peur qui régnaient dans la maison paternelle de la région parisienne. C’est là-bas, en Auvergne, qu’il trouvait dans les bois et les prés alentour la paix et l’harmonie qui lui manquaient ailleurs et c’est là aussi qu’il se sentait libre d’être lui-même, un vrai garçon qui ne serait pas « manqué ». Ce n’est qu’en 2014 qu’il a finalement obtenu officiellement son identité masculine, au terme d’un long parcours de transition sur lequel il ne s’appesantit pas mais dont on comprend qu’il a été aussi éprouvant que libératoire. Cette étape, vécue comme une nouvelle naissance, lui a permis de se réapproprier son identité et de lentement se reconstruire. Il vit et travaille aujourd’hui dans une ferme du XVIIIe siècle dans le Loir-et-Cher, entouré d’arbres, d’oiseaux et d’animaux sauvages.

Les portraits pleins de sensibilité et de poésie de ces jeunes garçons au regard mélancolique étroitement connectés à la nature, sont autant d’autoportraits de l’enfant et de l’adolescent qu’il a rêvé d’être dans les moments de répit de son enfance, se sentant alors si proche des animaux qu’il observait, à la fois fragiles et libres.

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Au milieu de la salle, la sculpture intitulée « Traverser le temps » se compose d’une grande barque de bois abritant à son bord un jeune homme et des animaux, modelés dans un mélange de plâtre et de résine. Coulant en longs filaments bleus des yeux du jeune homme, des larmes remplissent lentement le fond de l’embarcation jonchée de débris de branches. Le garçon tient dans les mains un tas de brindilles sur lequel est juché un petit dinosaure, baigné lui aussi de ses larmes. De cette source lacrymale répandue dans le fond du bateau émerge tout un bestiaire sauvage à l’image des animaux qu’Edi Dubien côtoie près de sa maison. La scène évoque de loin l’arche de Noé, mais fait aussi référence pour l’artiste à une séquence de « La Nuit du Chasseur » de Charles Laughton (1955), dans laquelle les enfants s’enfuient sur la rivière pour échapper au tueur en série incarné par Robert Mitchum. Edi Dubien explique que ces larmes ne sont pas l’expression de la tristesse, même s’il reconnaît avoir beaucoup pleuré au cours de sa vie, mais qu’elles sont au contraire le signe de la réparation, de la transformation.

Edi Dubien, Traverser le temps, 2024 © Isabelle Henricot

L’exposition se poursuit aux étages supérieurs, où les œuvres de l’artiste se mêlent à celles des collections permanentes du musée. Dans une des salles du premier étage, une sculpture en plâtre et résine intitulée « Réincarnation » montre un garçon allongé sur le sol, les yeux maquillés, un renard surgissant de son torse. L’artiste évoque ici la question de l’identité et de la transformation, le renard incarnant l’énergie qui émane du jeune homme en pleine métamorphose.

Edi Dubien, Réincarnation, 2024 © Isabelle Henricot

Dans le salon voisin, une autre sculpture le représente agenouillé, le dos recouvert de broussailles et de plantes comme s’il sortait de terre ou se muait en végétal, penché vers un petit lapin apparu au milieu de ses larmes, image de l’innocence et de la fragilité qu’il tente de protéger de ses mains.
Dans l’antichambre suivante, deux sculptures en faïence, (Romance 1 et 2, 2024) font écho au dessin Sans titre (2020) acquis par le musée en 2021 et exposé au deuxième étage, représentant un garçon échangeant un baiser avec un chevreuil.

Edi Dubien, Romance 1, 2024 © Isabelle Henricot

Edi Dubien, Romance 2, 2024 © Isabelle Henricot

Edi Dubien, Sans titre, 2020, Collection du musée © Isabelle Henricot

Plusieurs autres interventions de l’artiste ponctuent les salles des collections permanentes. Quelques touches en forme de clin d’œil sont posées sur les animaux naturalisés, comme le sanglier, doté d’un tutu rose en écho au dessin exposé dans la salle du rez-de-chaussée, ou le grand ours polaire, figure emblématique du musée, qu’il a pourvu d’un gros bouquet de fleurs, ou encore les léopards de la salle des trophées au cou desquels il a glissé des colliers garnis d’amulettes.

Edi Dubien, « S’éclairer sans fin », Musée de la Chasse et de la Nature © Isabelle Henricot

Edi Dubien, « S’éclairer sans fin », Musée de la Chasse et de la Nature © Isabelle Henricot

Edi Dubien, Colliers totem, 2024 © Isabelle Henricot

Le grand cerf du Salon du Cerf et du Loup porte, enfilées sur ses bois, des petites maisons rappelant les cabanes de l’enfance, abris symboliques ici transpercés, et évoquant aussi la disparition des habitats naturels des animaux. Pour ce salon, Edi Dubien a réalisé un grand dessin marouflé sur toile dans lequel il réunit un loup et un cerf de Virginie dans un face à face pacifique.

Edi Dubien, « S’éclairer sans fin », Musée de la Chasse et de la Nature, 2024 © Isabelle Henricot

Edi Dubien, Face à face, 2024 © Isabelle Henricot

Cette image, de même que les précédentes, peut sembler naïve dans un musée dédié à la chasse. Mais ces allégories nous rappellent que nous sommes indissociablement liés aux autres espèces, et que notre survie dépend de notre capacité – et de notre responsabilité – à coopérer avec elles, et à préserver ou réparer les milieux naturels et leur biodiversité. Les portraits tout en délicatesse d’Edi Dubien nous invitent à prendre conscience de la nécessité de protéger les plus fragiles. Ils traduisent aussi sa volonté de conjurer un passé trop sombre en recréant un monde de douceur et de tendresse, où les frontières entre les genres et les espèces s’estompent pour laisser place à la réconciliation, un monde de lumière où la douleur se métamorphose en source créatrice et le chaos en élan vital.

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Edi Dubien, Sans titre, 2024

Edi Dubien, « S’éclairer sans fin »
Musée de la Chasse et de la Nature
62, rue des Archives
75003 Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 18h, le mercredi jusqu’à 21h30
Jusqu’au 4 mai 2025

Photo de titre : Edi Dubien, Sans titre, 2024

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