Dans la profusion d’évènements qui accompagnait Paris Photo, il était difficile de tout voir d’un coup sans avoir le don d’ubiquité… Heureusement, il reste encore quelques jours pour découvrir Photo saint-Germain et plusieurs semaines pour voir notamment : Irving Penn, Malick Sidibé, Raymond Depardon et quelques autres…
Parmi les visiteurs toujours plus nombreux attirés par Paris Photo la semaine dernière – 64.542 visiteurs très précisément pour l’édition 2017 selon les organisateurs, soit une augmentation de plus de 4% par rapport à l’année précédente – se trouvaient bon nombre de spécialistes ou de passionnés venus parfois de très loin pour repérer une image convoitée, dénicher de nouveaux talents ou simplement respirer les tendances du moment. L’occasion pour le monde de la photo à Paris de proposer à ce public de choix un large éventail de manifestations parallèles, à commencer par une série de salons et de foires calés sur les dates de Paris Photo, dont le parcours complet relevait plus du marathon que de la promenade. Fotofever au Carrousel du Louvre en était l’une des étapes principales avec, pour l’édition 2017, 80 galeries dédiées à la génération montante de la photographie. Formant le pendant de Paris Photo mais pratiquant des prix plus abordables, cette foire qui cible les jeunes collectionneurs inaugurait cette année, pour mieux encourager les acheteurs potentiels et séduire de nouveaux adeptes, un espace de mise en situation des œuvres conçu avec la participation d’une enseigne de mobilier bien connue, sorte d‘appartement témoin dont les murs étaient décorés d’un échantillonnage de photos sélectionné parmi les exposants. Une initiative qui avait sans doute ses partisans mais dont on peut se demander si elle avait sa place dans une manifestation qui se veut artistique. Jusqu’à quel point l’art doit-il céder aux priorités du marché ? La question reste posée… À quelques pas de là, le salon Approche installé dans un hôtel particulier accessible sur réservation (le Molière, rue de Richelieu) réunissait pour la première fois 14 expositions monographiques de jeunes photographes sur le thème du rapport à l’espace. De l’autre côté de la Seine, Off-Print transformait la cour de l’École des Beaux-Arts en librairie géante, rassemblant 130 éditeurs de livres d’art, de photographie et de design tandis que Polycopies, installé sur un bateau amarré dans le port de Solférino et dédié exclusivement aux livres de photographie complétait l’offre avec une quarantaine d’éditeurs. Enfin, pour tous ceux dont le spectacle de ce foisonnement d’images stimulait la fibre créatrice, le Salon de la photo, axé sur le matériel photographique et les formations au métier de photographe, se tenait au même moment à la porte de Versailles.
À l’heure où retombe cette effervescence, si vous avez manqué tous ou quelques-uns de ces rendez-vous, ne désespérez pas : il vous reste cinq jours pour explorer les quarante propositions de Photo Saint-Germain réparties dans le quartier du même nom et plusieurs semaines pour visiter les diverses expositions de photographie en cours dans la capitale.
Photo Saint-Germain
Pour sa sixième édition, la manifestation offre un parcours à travers musées, centres culturels, galeries et librairies de la rive gauche qui accueillent jusqu’au 19 novembre des expositions consacrées principalement à de jeunes photographes mais aussi à quelques grands noms.
Parmi toutes les suggestions, on retiendra notamment « Refuge » à l’Académie des Beaux-Arts (Institut de France) où Bruno Fert, lauréat 2016 du prix Marc Ladreit de la Charrière, associe portraits de migrants et images des logements de fortune que ceux-ci se constituent dans les camps de réfugiés en Europe, fragiles espaces de vie qui interrogent la notion d’habitat.
Au Musée Eugène Delacroix, caché entre cour et jardin derrière la place de Fürstenberg, « Périphérie » de Mohamed Bourouissa présente, sous l’apparence d’un travail de photojournalisme sur les banlieues, des images à la mise en scène très fouillée qui intègrent de nombreuses références à l’histoire de l’art, s’inspirant notamment de la composition de tableaux célèbres.
Autre lieu à découvrir, au fond d’une allée fleurie donnant sur la rue Jacob, l’Espace des femmes accueille « Le reflet de la cuillère » de Johanna Benaïnous et Elsa Parra, déployant une galerie de personnages incarnés par les artistes elles-mêmes dans un décor un brin nostalgique évoquant un Saint-Germain-des-Prés désormais disparu.
Clin d’œil, enfin, à la librairie Mazarine avec les irrésistibles autoportraits d’Olivier Blanckart se métamorphosant tour à tour en Marguerite Duras, Jean-Paul Sartre, Angela Merkel, etc. (« Légion est mon nom, autoportraits photographiques »).
La programmation comprend également des conférences, des rencontres avec les artistes, des séances de signature, etc. Les détails sont disponibles sur le site : www.photosaintgermain.com.
Irving Penn
A l’occasion du centenaire de la naissance du grand photographe américain, le Grand Palais rend hommage au champion de l’élégance et de l’esthétisme dans une rétrospective conçue par le Metropolitan Museum de New York.
Photographe vedette de Vogue pendant cinquante ans, Irving Penn est connu avant tout pour ses photos de mode d’une exceptionnelle beauté, portées par des mannequins sublimes dont l’une de ses préférées, Lisa Fonssagrives, largement représentée dans l’exposition, deviendra d’ailleurs Mrs. Penn quelques années plus tard. Mais le talent de Penn va très vite dépasser le cadre de la mode comme en témoignent les différentes séries présentées successivement dans l’exposition. Lorsqu’en 1948, le magazine envoie le jeune photographe à Lima faire son premier reportage de mode en extérieur, Irving Penn poursuit son voyage jusqu’à Cuzco où il réalise en trois jours, dans un atelier improvisé, des centaines de portraits de villageois en costume traditionnel qui révèlent ses remarquables qualités de portraitiste.
Se trouvant à Paris pour photographier les collections de couture en 1950, il profite de son séjour pour commencer une série sur les petits métiers, qu’il poursuivra ensuite à Londres et à New York. Les personnages qu’il campe se distinguent par leur caractère et leur forte présence, comme en atteste le charbonnier à l’allure mystérieuse qu’il photographie en Angleterre.
Irving Penn devient le portraitiste des célébrités, réussissant en fin psychologue à percer le masque et faire émerger la sensibilité de ses modèles. Sa spécificité est la photographie de studio, toutes ses photos étant réalisées devant le même décor neutre. On peut voir à mi-parcours de l’exposition l’accessoire qui servit de toile de fond à la plupart de ses clichés, un vieux rideau de théâtre gris récupéré à Paris dont l’usure et les taches n’altèrent en rien la stricte élégance. Pour ses études de nu, il s’intéresse au corps féminin à travers des canons parfois très éloignés de ceux de la mode, parvenant à force d’expérimentations à sublimer des images qu’une photographie trop réaliste aurait rendues plutôt repoussantes. Les recherches qu’il réalise sur le tirage sont essentielles dans son travail. Toutes les photos exposées au Grand Palais ont d’ailleurs été tirées par Penn lui-même. Ses reportages en Afrique et en Nouvelle-Guinée, effectués pour Vogue entre 1967 et 1971, donnent lieu à des séries d’images magnifiques, prises dans une tente qui lui sert de studio et lui permet aussi d’établir un contact plus intime avec ses modèles.
Tout au long des soixante années de carrière retracées dans l’exposition, le fil conducteur qui se dégage du travail d’Irving Penn est la quête constante d’esthétique qui transparait même dans les recherches qu’il consacre aux déchets de la ville, comme par exemple la série sur les mégots de cigarettes dont il arrive à rendre toute la beauté plastique.
Irving Penn
Galeries nationales du Grand Palais
Place Clémenceau
75008 Paris
Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h, le jeudi jusqu’à 22h
Jusqu’au 29 janvier 2018
Malick Sidibé, « Mali Twist »
Ambiance festive à la Fondation Cartier qui célèbre en musique le photographe malien disparu l’an dernier.
Plus de vingt ans après la première exposition qu’elle lui avait consacré, la Fondation Cartier accueille à nouveau « l’œil de Bamako » pour une rétrospective en forme de joyeux hommage qui fait la part belle à la musique : celle de l’Occident, qui faisait danser la jeunesse de Bamako sur des rythmes endiablés au lendemain de l’indépendance (1960) et que l’on entend en fond sonore dans l’exposition, et celle des musiciens maliens qui viennent animer les « soirées nomades » programmées en accompagnement de celle-ci.
On retrouve, en tirages de grand format affichés sur fond de mur pastel, les célèbres images des soirées de fête de cette époque dont le photographe s’était fait le témoin privilégié et les portraits si vivants et souvent très drôles réalisés dans son studio où les jeunes venaient prendre la pose, vêtus de leurs plus beaux atours, empruntant quelquefois au photographe les accessoires jugés indispensables à ces mises en scène très étudiées.
Au sous-sol, une très belle série montre des moments saisis au bord du fleuve Niger où les jeunes se retrouvaient le dimanche pour pique-niquer et se baigner. Un ensemble de tirages d’époque en petit format retrouvés dans les archives du photographe et des portraits inédits viennent compléter la rétrospective.
Il faut prendre le temps de regarder le documentaire Dolce Vita Africana, réalisé en 2008 par Cosima Spender, qui montre le photographe chez lui, entouré de sa nombreuse famille et de ses anciens amis du Las Vegas Club, ou dans son studio, posant sur chacun son regard bienveillant. Toujours simple, malgré la renommée internationale que lui avait donnée sa consécration par la Biennale de Venise en 2007, le photographe avait également conservé son enthousiasme et sa bonne humeur communicative qui imprègne toute l’exposition d’une joyeuse atmosphère.
« Malick Sidibé, Mali Twist »
Fondation Cartier
261 boulevard Raspail
75014 Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 20h, le mardi jusqu’à 22h
Jusqu’au 25 février 2018
(Le jeudi 11 janvier et le samedi 17 janvier 2018, fermeture exceptionnelle du rez-de-chaussée à 17h en raison des soirées nomades)
Raymond Depardon
La Fondation Henri Cartier-Bresson invite Raymond Depardon à une lecture transversale de son travail dans laquelle la photographie dialogue avec l’écriture.
« Traverser ». C’est le titre proposé par Agnès Sire, commissaire de l’exposition et directrice de la Fondation Cartier Bresson, pour désigner ce voyage en quatre étapes à travers l’œuvre de Raymond Depardon. Titre que celui-ci a choisi de mettre à l’infinitif, pour montrer que le métier de photographe implique d’être dans l’action.
Déployée en quatre thèmes qui s’entremêlent par moments, l’exposition explore successivement « La terre natale », « Le voyage », « La douleur » et « L’enfermement ».
« La terre natale », c’est bien sûr la ferme du Garet, près de Villefranche-sur-Saône, où Raymond Depardon a grandi entre ses parents agriculteurs et son frère, dans ce monde paysan qui est son « socle », même s’il avoue n’avoir pas toujours osé revendiquer ses origines. Il y a Paris aussi, devenu son havre et le lieu de la famille.
« Le voyage », il n’a cessé de le pratiquer toute sa vie, circulant du Vietnam au Rwanda, sillonnant les hauts-plateaux boliviens ou les déserts du Tchad et de l’Ethiopie, arpentant les artères de New York ou les ruines de Beyrouth, fixant son objectif sur les combattants afghans ou sur les rues délabrées de Glasgow… Tous ces lieux, dont il garde en lui la trace silencieuse, lui inspirent des sentiments qu’il retranscrit parfois en mots.
« La douleur », il l’a ressentie auprès des combattants, comme dans les asiles psychiatriques qu’il a photographiés en Italie. Elle résonne avec « l’enfermement », qui prend une forme très concrète dans ses images de la prison de Clairvaux.
Au long du parcours, les photographies alternent avec citations et réflexions extraites des carnets qui accompagnent Raymond Depardon dans chacun de ses voyages. Pour s’adapter à l’espace restreint des salles, le choix de la commissaire s’est porté sur des tirages de petit format qui donnent à l’exposition un caractère intimiste. L’exiguïté du bâtiment – un ancien atelier d’artiste près de Montparnasse – a conduit le conseil d’administration de la Fondation Cartier-Bresson à chercher de nouveaux locaux plus adaptés à ses besoins. A l’automne 2018, elle s’installera rue des Archives, dans le Marais, dans un ancien garage dont la superficie permettra de doubler les espaces d’exposition actuels et de disposer de meilleures conditions d’archivage. « Traverser » est la dernière exposition présidée par Agnès Sire en tant que directrice de la Fondation. Le 1er novembre elle a cédé sa place à François Hébel, ancien directeur de Magnum Photos et des Rencontres d’Arles, qui dirigera le transfert de l’institution dans ses nouveaux locaux. Agnès Sire en conserve la direction artistique et continuera d’assurer le commissariat des expositions.
Raymond Depardon, « Traverser »
Fondation Henri Cartier-Bresson
2, impasse Lebouis
75014 Paris
Du mardi au dimanche de 13h à18h30, le samedi de 11h à 18h45. Nocturnes le mercredi jusqu’à 20h30.
Jusqu’au 24 décembre 2017
Signalons, pour finir, sans nous y attarder faute de les avoir vues, une nouvelle programmation d’expositions ouvertes jusqu’au 7 janvier 2018 à la MEP (Maison Européenne de la Photographie : https://www.mep-fr.org/programmation/) et la très prometteuse exposition sur les Paysages français, à la BNF, dont on pouvait avoir un avant-goût dans la présentation de la DATAR aux dernières Rencontres d’Arles, qui rassemble, jusqu’au 4 février 2018, 1000 images de la France des trente dernières années : http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/expositions/f.paysages_francais.html
Et, pour rappel : « Etranger résident », la collection Marin Karmitz à la maison rouge, à ne rater sous aucun prétexte :
La collection de Marin Karmitz : un voyage dans l’ombre du XXe siècle