Des chaises animées de mouvements d’humeur, des sculptures pour se mettre dans la peau d’un athlète, un voyage initiatique au fond d’une grotte indonésienne ou un séjour introspectif à l’intérieur d’un ours… Ce sont quelques-unes des propositions que vous invitent à venir découvrir les artistes rassemblés pour trois mois au Palais de Tokyo.
Fidèle à sa mission de porte-parole et de vitrine de la création contemporaine, le Palais de Tokyo se présente, depuis son ouverture il y a quinze ans et plus particulièrement depuis l’arrivée de Jean de Loisy en 2011, comme un énorme laboratoire à idées où mijotent en permanence de nouveaux projets et où des artistes encore émergents ou déjà confirmés peuvent donner corps à leurs inventions. Le résultat est toujours surprenant, parfois déstabilisant, mais le succès auprès du public – majoritairement jeune – montre que le courant passe.
La nouvelle saison s’ouvre avec pas moins de huit expositions.
Parmi elles, on épinglera notamment l’intervention de Taro Izumi avec Pan, sa première exposition personnelle d’envergure en France.
A partir d’éléments du quotidien (fragments de chaises, tables, tabourets…) associés de manière improbable, l’artiste japonais crée des sculptures conçues comme des supports permettant à n’importe quel spectateur avachi devant son téléviseur de reproduire la position d’un sportif saisi dans le feu de l’action (« Tickled in a dream… maybe ? », 2017).
Il souligne la tension qui oppose les objets et leur représentation, à l’exemple de ce mur de briques numériques qu’il a reconstitué à partir de centaines d’images captées à différentes heures de la même brique filmée plusieurs jours durant. « J’attendais en filmant comme les briques attendent sur le mur » (« To forget the day that I forgot to wear sunscreen », 2017).
Ses vidéos et ses installations interrogent avec humour et dérision notre conception de la norme.
Rites and Aftermath (« Rites et après-coup ») est la première exposition en centre d’art du jeune artiste français Dorian Gaudin, qui vit et travaille à New York.
Son installation met en scène une table dont les deux parties, montées sur rail et animées par un moteur, sont unies par une bande de tôle s’aplatissant ou se déployant dans l’espace selon que les deux moitiés de la table s’éloignent ou se rapprochent. Tout autour, des armatures de chaises métalliques sursautent sous l’impulsion de courants électriques, se déplaçant toutes seules dans l’espace d’exposition, semblant mues par des sentiments ou par des sautes d’humeur. On pourrait se croire dans une réunion de famille où les meubles se disputeraient à la place des personnes. « Il suffit de peu pour attribuer un tempérament aux choses ; un simple mouvement et déjà on leur invente des histoires ». Dorian Gaudin veut montrer que notre rapport au monde est conditionné par le fétichisme dont nous faisons preuve à l’égard des objets et de la technique.
C’est de rites qu’il est également question dans l’exposition en trois parties de Mel O’Callaghan, Dangerous on-the-way, mêlant performance, vidéo et sculpture. Dans la première salle, un tronc calciné, une vasque remplie d’eau, un ciste géant et un gong, disposés sur une estrade symbolisant un espace sacré, servent de supports à l’exécution d’un rituel censé amener ses protagonistes à un état de transe extatique. Pour l’artiste australienne installée à Paris, les rituels constituent une forme d’expression de la condition humaine. « Il s’agit d’envisager le corps comme le lieu de possibles révélations – de dépasser un seuil et de voir ce qui se trouve au-delà des limites physiques et psychologiques ». Pour illustrer son propos, elle a filmé dans une grotte de Bornéo des autochtones qui se livrent deux fois par an à la récolte périlleuse de nids d’oiseau, perchés sans protection sur des échelles à 120 mètres de haut. Cette pratique séculaire, enjeu d’un commerce fructueux avec la Chine, s’apparente pour les hommes de la région à un rituel initiatique profondément ancré dans la tradition locale. Mel O’Callaghan explore la manière dont la répétition inlassable des mêmes gestes imposés au corps peut amener à un état modifié de conscience, ouvrant la voie à une nouvelle perception de la réalité. La troisième étape de son exposition, voulue comme un sas de décompression, offre une déambulation autour de sculptures monumentales aux formes géométriques.
L’exposition consacrée à Abraham Poincheval est l’occasion de retrouver l’artiste sur la terre ferme, après l’expérience menée une semaine durant pour la Nuit Blanche d’octobre 2016 sur sa Vigie, une plateforme exigüe installée sur un mât de vingt mètres de haut planté sur le parvis de la gare de Lyon (https://www.parisartnow.com/abraham-poincheval-le-stylite/). Sont rassemblés ici quelques-uns des instruments d’expérimentation de cet aventurier hors du commun qui a traversé les Alpes en roulant une sculpture-capsule lui servant d’habitacle, a remonté le Rhône enfermé dans une bouteille géante et a passé deux semaines enfermé dans le ventre d’un ours naturalisé. Repoussant toujours plus loin les frontières de ses capacités physiques et mentales, Abraham Poincheval fait l’expérience du temps, de l’enfermement, de la perte de repères.
Il se livrera pendant le temps de l’exposition à deux nouvelles performances.
Du 22 février au 1er mars, il s’enfermera au cœur d’un rocher dont l’intérieur a été creusé à la forme de son corps et dans lequel un système d’aération, une réserve d’eau et de nourriture lyophilisée assureront sa survie. Il s’agit pour lui de sortir de la temporalité humaine pour s’immerger dans le temps minéral.
À partir du 29 mars, il tentera pour la première fois une expérience liée au monde vivant, en couvant pendant 21 à 26 jours des œufs de poule jusqu’à éclosion, s’adaptant ici au temps animal et soulevant les questions de la métamorphose et du genre.
L’homme, au demeurant très sympathique, n’a rien d’un illuminé. Ses voyages immobiles ou itinérants font l’objet d’un longue préparation physique et mentale qui lui permet d’explorer jusqu’à l’extrême les limites de l’adaptabilité humaine.
Pour le programme complet des expositions: http://www.palaisdetokyo.com/fr/liste/en-ce-moment
Photo de titre: Taro Izumi, Tackled in a dream… maybe?, 2017 © Isabelle Henricot
Palais de Tokyo, En toute Chose, du 3 février au 8 mai 2017
Tous les jours, sauf le mardi, de midi à minuit
Fermé le 1er mai